[ Clos ] Seian said to me... [Solo]

[Abigaël d'Alma]

Après le petit « cours » qu’elle avait dû donner, bien malgré elle, à sa camarade mizuhanienne, Abby avait flâné avec elle toute la journée, essayant de s’adapter à ce que les jeunes femmes de son âge aimaient et désiraient : les parfums, les belles robes, les Pokémon mignons, et toutes ces niaiseries qui laissaient la guerrière de marbre. Oh, bien sûr, elle ne pensait pas Anthère superficielle ou dénuée d’intérêt, loin de là, mais l’observation de la ville et de ses habitants avait appris à la noble d’Alma que ces préoccupations étaient les principales pour les adolescentes entre 12 et 25 ans, en gros. Sans trop de conviction, elle les avait donc regardées glousser pour un rien et s’extasier devant un Pokémon rond, rose et avec de grands yeux rouges. Qu’est-ce qu’elles lui trouvaient à ce machin débile, ces gourgandines ? En haussant les épaules, elle s’était détournée, puis avait fini par atterrir à l’auberge, pour terminer la soirée à une heure plutôt avancée dans une chambre douillette mais pas excessivement chère.

Tôt le matin, Anthère avait quitté l’établissement, sans doute pour vaquer à ses occupations, et Abby la laissa partir tranquille, ne cherchant pas à la suivre à tout prix. Elle-même avait des choses à faire, des choses qui l’avaient travaillée une bonne partie de la nuit. Mais en fin de compte, elle décida de se lever à son tour, puis se prépara sans se presser, malgré l’urgence qui l’oppressait, au fond d’elle. Elle n’avait jamais été fébrile, ce n’était pas prêt de changer...

Quittant les lieux à son tour, elle se dirigea immédiatement, comme un robot, vers la caserne de Seian. Elle y fut en une vingtaine de minutes de marche rapide, puis pénétra dans le bâtiment, sans crainte ni appréhension, sentiments qui étaient absents chez elle, comme beaucoup d’autres d’ailleurs. Aussitôt, deux soldats lui barrèrent la route en lui demandant de décliner son identité. Clignant des yeux, Abigaël se souvint que c’était ainsi que les choses fonctionnaient, et elle répondit, sans grande conviction :

« Abigaël d’Alma, fille du Duc d’Alma. J’ai été gradée lors de la guerre pour mes faits d’armes, et... J’habite là-bas. Je crois que c’est tout. »

Lorsqu’elle évoqua son nom, les deux hommes lui firent un salut militaire, puis la laissèrent passer. Il fallait dire que le Duc d’Alma était une célébrité locale, sinon de Terros, et qu’il était réputé pour la dureté de son caractère et de son entraînement. En silence, Abby avança vers le militaire qui se présentait à elle, puis reproduisit la mimique qu’elle venait de voir, l’ayant vaguement identifiée comme un code à respecter. Surpris, le soldat le lui rendit, avant de lancer :

« Alors c’est toi, la fille d’Alma... Général de brigade Hammer, je dirige la brigade Bastiodon de l’armée régulière de Terros. Que me vaut la première visite de la perle du Duc ? »

Abigaël tiqua et haussa un sourcil quand il la désigna par ce nom qu’elle n’avait entendu que dans la bouche de son père. Alors, c’était ainsi qu’il parlait d’elle, quand il partait, plusieurs jours durant, pour « aller à la caserne » ? Elle avait l’impression de mieux le comprendre à la simple évocation de ce terme si spécial, qu’elle découvrait non pas réservé à la réussite d’un entraînement, mais connu de tous les soldats qui vivaient là. « La perle du Duc », hein... Son existence avait été cachée au monde entier des années durant, mais il semblait qu’il l’avait révélée au moment où il l’avait lâchée dans la nature, après deux décennies d’enfermement et d’isolation. En tout cas, les nouvelles et les rumeurs allaient vite...

« Je cherche mon père. »

Bim. On pouvait dire qu’elle y était allée franco, et sans détours inutiles. Son regard d’ambre s’accrocha aux yeux gris du général de brigade, qui la toisa un instant avant de soupirer, puis de lâcher :

« Toi aussi... Moi qui comptais sur toi pour lui remettre la main dessus, je me mettais le doigt dans l’œil. Eh bien, figure-toi que je n’en sais pas plus que toi. Depuis la seconde guerre, nous l’avons perdu de vue. Il était en route pour rentrer au pays, avec ses hommes, mais il n’est jamais revenu à la caserne, ni à Seian, d’ailleurs. Nous avons envoyé des messages dans tout le territoire, puis lancé des recherches, étendant même la zone de couverture jusqu’à Flamen. Nos espions n’ont rien trouvé chez l’ennemi – à part toi, mais ils avaient ordre de ne pas entrer en contact avec toi pour ne pas gêner leur mission. »

La Terrosienne écouta, l’air hagard, les explications du vieux soldat, figée dans un mutisme inquiétant qui alarma Hammer. Tandis qu’une lueur de compassion s’allumait faiblement dans ses yeux fatigués, il reprit, en posant la main sur l’épaule d’Abby :

« Je suis désolé, jeune fille. Nous avons fait notre possible... Mais ton père est introuvable. »

Le dernier mot prononcé par le général de brigade lui fit l’effet d’une gifle, comme si elle venait seulement de réaliser la portée de ce qu’elle avait entendu. Très pâle, elle hocha la tête, mécaniquement, simplement pour répondre à son supérieur hiérarchique. Ce dernier, sentant le malaise, crut bon d’ajouter :

« En tout cas, ta venue ici tombe à point, car nous avons récemment délibéré au sujet des promotions à accorder à nos soldats, et il se trouve que tu fais partie de ceux que nous avons décidé de faire monter un peu dans la hiérarchie militaire. Te voilà promue aspirant, Abigaël d’Alma. »

La guerrière ne dit rien, mais au fond de son regard, une flamme difficile à définir s’embrasa, et Abby se dégagea de l’étreinte qu’elle voyait comme une emprise pour tourner les talons et s’en aller. D’abord estomaqué, le général de brigade comprit ensuite le souci et rattrapa la farouche perle du Duc, avant de dire précipitamment :

« Non non non, attends ! Ce n’est pas de la pitié, comme tu sembles le croire ! Nous avons reçu des rapports relatant tes faits d’armes à la frontière du pays, et nous avons réellement eu à cœur de les récompenser ! »

Les yeux fauves se tournèrent vers le soldat, qu’ils virent plus vieux, plus fatigué et plus las que jamais. Après un silence qui parut interminable, la poupée du Duc consentit à acquiescer.

« C’est trop d’honneur, mon général. Si vous voulez bien m’excuser. »

L’aspirant fit un salut militaire au vétéran, puis sortit du bâtiment, alors que le Soleil avait fini sa lente apparition. Où lui avait-elle dit de la rejoindre, déjà ? Ah, oui. D’un pas rapide, Abigaël prit la direction de l’arène de la cité de Seian, qui venait de lui avouer, coupable, qu’elle avait perdu la trace de Père.