[ Clos ] Namae wo Yonde [Solo]

[Miku Hatsune]

« Comme morts »

Endormie contre ses Pokémon, Miku savourait un repos mérité après la dure journée d’épreuve qu’elle venait de passer. Elle s’était carrément assoupie après avoir fini de s’occuper de ses compagnons, et elle rêvait déjà de tous les nouveaux Pokémon qu’elle pourrait avoir et dont elle prendrait le plus grand soin... Mais très vite, ce doux songe laissa place à une vision qui, à peine installée dans son esprit, lui comprima la poitrine, à tel point qu’elle serra les ailes de coton de Nebula un peu plus fort qu’à l’accoutumée.

Un paysage glacé s’étalait sous son corps qui lévitait en suspension entre le temps et l’espace. Des montagnes enneigées, qu’un épais manteau blanc recouvrait, constituaient la majeure partie de la scène, et un froid polaire régnait en maître, à tel point qu’elle le sentait même dans son rêve. Mais ce n’était pas ce qui causait une telle sensation de désolation dans le cœur de la Marcheuse. Elle chercha à localiser ce trouble diffus en balayant du regard l’endroit, avant d’être attirée par un scintillement, quelque part dans une crevasse dissimulée au fin fond de la montagne.

« Ne bouge pas... »

Matérialisant son Tenbuki sous sa forme onirique de serpent-dragon de jade, la Nalcienne chevaucha l’avatar de son bâton de pouvoir jusqu’à cette petite lueur qu’elle avait brièvement aperçue, en contrebas. Malgré un Soleil radieux, plus elle était proche de son origine et plus elle était mal. En plus du terrible pressentiment qui ne la quittait pas depuis le début de cette vision, une autre sensation s’ajouta, pire encore que la première, et fit battre sa pompe organique de plus en plus vite : l’urgence. À nouveau, comme une réponse à son malaise et une incitation à se presser, quelque chose étincela, tout près. Et alors qu’elle était juste au-dessus de ce qui brillait, elle distingua une masse à la fois blanche et sombre, une masse que contemplaient tristement deux silhouettes qu’elle ne parvenait pas à identifier de là où elle était.

« Allons-y. »

Elle crut mourir. Suffoquée et oppressée, ce qu’elle avait tant redouté était là, devant ses yeux. Désormais suffisamment proche pour voir en détails ce dont il s’agissait, elle pâlit, devenant quasiment transparente, alors que son avatar onirique était déjà d’une blancheur extrême. Tenbuki, lui, vit ses couleurs se ternir, comme s’il dépérissait devant cette triste vision. Un corps inanimé et formant un angle étrange gisait dans la neige, sous laquelle de nombreux rochers, traîtres maîtres des lieux, ne laissaient pas le moindre doute quant à l’état de l’être humain qui avait chuté là. Pour ajouter au tragique de la situation, la configuration de la crevasse et la disposition de la malheureuse étaient sans équivoque et parlaient d’eux-mêmes : ce n’était pas un accident. Cette fille, encore bien trop jeune, hélas, avait volontairement mis fin à ses jours. Mortifiée, la Prêtresse réussit à articuler :

« Pourquoi... ? Rien ne justifie... Mais ce n’est pas de votre faute. »

Elle se tourna vers les deux créatures qui la regardaient fixement. L’un d’eux, une sorte de pingouin bleuté, pleurait à chaudes larmes, mais en silence, comme si le moindre bruit allait leur arracher tout ce qui leur restait de leur dresseuse. L’autre, un renard à la fourrure de gel, était un peu à l’écart, et des gouttelettes perlaient à ses yeux, mais il luttait de toutes ses forces pour ne pas les laisser couler. Le Prinplouf se jeta sur elle pour chercher du réconfort, mais il la traversa.

« Je suis désolée, tellement désolée... Je suis dans vos Rêves, mais je ne suis pas là physiquement avec vous. Je viens vous chercher, je vous le promets. Surtout, restez ici... Je viens vous chercher. Je viens vous chercher. »

Elle avait répété sa dernière phrase comme une incantation, une prière destinée à les protéger jusqu’à ce qu’elle les retrouve. Plus dévastée que jamais, elle se réveilla en sursaut, sous l’œil inquiet de son Altaria. Leurs Rêves étant souvent connectés, elle avait vu, elle aussi... Et elles n’avaient pas de temps à perdre.

« Promantis, il faut que tu rentres. Ramène les plus jeunes, ils n’ont pas besoin de voir ça. Nestor, tu viens avec moi. »

Malgré ce sentiment d’étouffement qui menaçait à tout moment de la mettre par terre, elle avait un air grave et déterminé. Griffonnant quelques mots à la hâte pour Hans (« je suis navrée, mais le devoir m’appelle déjà »), elle déposa le papier dans l’entrée de la maison rustique, avant de confier la majeure partie de ses sphères à son Xatu qui, après avoir rappelé tout le monde à la manière d’un Dresseur, décolla pour se diriger vers le Lac, là où se trouvait la pension. Miku, elle, partit dans l’autre sens avec Nebula, en direction de ce funeste Pic Glacé, à toute allure.

Elle ne sut combien de temps avait duré le voyage, mais elle avait mémorisé dans son âme même l’endroit où les deux créatures veillaient le corps de la défunte. Elle fit donc amorcer une descente en piqué à sa monture, et sauta à terre lorsqu’elle les vit, quasiment terrassés par la fatigue et le chagrin. Le froid n’avait visiblement pas d’emprise sur eux, et c’était tant mieux, vu l’épreuve qu’ils venaient de vivre...

La Marcheuse courut, glissant sur les vents avec son pouvoir aérien, et le Prinplouf se jeta dans ses bras pour laisser libre cours à sa peine et à sa colère. Le Givrali, lui, la regarda avec un mélange de reconnaissance et d’appréhension, mais ne bougea pas d’un poil.

« Je suis là... Je vous l’avais promis. Venez... Donnons-lui une sépulture décente, d’accord ? »

Dans ses bras, le Pokémon aquatique éclata en sanglots de plus belle, alors que, pour toute réponse, le renard se levait et commençait à creuser à côté du corps, avec force et détermination. La Nalcienne murmura quelques mots rassurants au pingouin, puis se mit au travail à son tour, s’écorchant les mains au fur et à mesure, mais même ses doigts rougis ne l’empêchèrent pas de finir sa tâche. Doucement, elle demanda la permission aux deux Pokémon de bouger la jeune femme, permission qu’elle obtint sans problème. Elle s’attarda un instant sur le visage de poupée, résistant à une furieuse envie de pleurer. Quel gâchis. La vie était si précieuse. Si seulement elle l’avait rencontrée plus tôt, peut-être aurait-elle pu éviter ce drame...

« Elle s’appelait Hanako », entendit-elle dans son esprit, alors que Nestor, qui tenait la nageoire du Prinplouf, s’introduisait dans sa tête pour la première fois depuis longtemps. « Avant de partir, elle voulait que quelqu’un l’appelle par son nom une dernière fois, mais ils ne parlent pas l’humain, alors ils n’ont pas pu ». La Prêtresse hocha la tête en silence, puis déplaça finalement le corps. Une certaine sérénité, paradoxalement, régnait sur le visage de la morte, signe qu’elle avait sciemment fait ce choix inexcusable. Une fois la Mizuhanienne enterrée, Miku créa un Fragment de Vent, l’un de ceux dont elle avait le secret et qu’elle utilisait comme des Symboles, le déposa sur la tombe, puis en créa deux copies parfaites, qu’elle mit dans des fioles de Kazecristal.

« Avec ça, elle sera toujours avec vous, où que vous soyez. Celle qu’elle était n’est plus là, mais son souvenir demeurera. Sayonara, Hanako. »

Un murmure sembla s’élever de la sépulture, alors qu’une bourrasque soufflait le groupe en deuil. Miku crut entendre un faible « arigatô », et le poids qu’elle avait dans sa poitrine s’envola à son tour.

[Post soumis à la contrainte 9 : insister sur un sentiment particulier.]