[ Clos ] Recrutement dans la ville pirate [Solo]

[Yuu]

Après un rapide passage par Arkhan où elle avait pu déposer son papier et ainsi officialiser son nouveau rang d’Alchimiste, Yuu, toujours flanquée de Jalousie, avait de nouveau loué une monture pour se rendre à Tarouga, sa destination finale. Là-bas, elle pourrait recruter un équipage mais aussi acheter un bateau pour réaliser ses plans. Pour l’occasion, la pirate s’était de nouveau grimée en homme, redevenant le distingué mais néanmoins terrible capitaine Shark. Yuu savait pourquoi : cet homme était bien connu à Tarouga et son prestige pourrait faciliter les recrutements. Mais tant qu’il n’y avait pas grand monde autour d’eux, Jalousie ne cherchait pas à contrefaire sa voix, s’exprimant avec son timbre rauque mais néanmoins féminin habituel.

Le vol de Mizuhan à Flamen se déroula sans encombre, mais dès qu’elle eut posé le pied sur le sol de la ville pirate, Yuu eut la confirmation que cette dernière n’avait pas usurpé sa mauvaise réputation. En effet, alors qu’elles tournaient à l’angle d’une rue, un homme dépassa les deux amie en marchant rapidement et alors qu’il arrivait au niveau de la jeune aveugle, il saisit une des balls qui pendait à la taille de la jeune fille, tira violemment dessus pour l’arracher à son support et s’enfuit en courant.

Les rues était trop peuplées pour que Yuu ait pu voir venir cet incident, mais Jalousie, sur ses gardes, réagit aussitôt et se lança à la poursuite du voleur en lui hurlant de s’arrêter et en le menaçant de mille morts si jamais il ne rendait pas la ball à sa propriétaire.

Enervée de s’être fait avoir si facilement, Yuu accéléra le rythme pour tenter de rester au niveau de la capitaine pirate, mais cette dernière la distança très rapidement… Jusqu’à s’arrêter seulement cent mètres plus loin. Yuu avait perçu cet arrêt mais elle avait du mal à comprendre ce qu’il se passait avec sa seule maîtrise. Encore que, vu l’énorme masse d’eau qu’elle sentait non loin devant elles, elle en avait une petite idée. Jalousie se retourna alors et remarqua que la jeune aveugle était juste derrière elle.

« Dis-moi, Yuu, demanda Jalousie, ce mec vient bien de voler la ball d’Aquino, hein ?
-Oui.
-C’est bien ce que je pensais. Bon ben ya pas grand-chose à faire, Aquino reviendra quand elle aura fini… En attendant je vais profiter du spectacle ! Figure-toi qu’elle a…
-Elle a évolué, je sais. Il n’y a qu’un Léviator ou un Wailord pour contenir une masse d’eau comme celle que je sens devant nous. Ce sont les plus gros Pokémon eau au monde. Cet homme… Elle l’enserre avec sa queue, c’est ça ?
-Ouaip ! Il y a eu un petit retournement de situation : au départ, il tenait ton poisson, mais elle a jailli de sa ball tout en évoluant, ça a fait une lumière blanche de toute beauté, et ‘instant d’après, elle serrait tendrement son ravisseur. Je me demande comment elle va le tuer… Tu crois qu’elle va lui arracher la tête d’un coup de croc ? »

Yuu ne répondit pas et s’approcha du grand dragon. Ce dernier ne bougea pas à son approche, pas même lorsque Yuu posa un bras sur son corps gigantesque.

« Aquino, laisse-le partir s’il te plaît. Je pense qu’il ne recommencera pas. N’est-ce pas ?
-Ou… Ou… Oui ! Je… Je volerai plus jamais rien, promis ! Mais… Mais… Dites-lui de me relâcher, je vous en prie !!! »

Des paroles de lâche dictées par la peur, analysa Yuu. Mais tant que cette peur n’aurait pas disparue, l’homme se tiendrait à carreau. Pendant une bonne année au moins. Finalement, le dragon desserra ses anneaux et l’homme s’enfuit ventre à terre sans demander son reste, laissant tomber le fruit de son larcin au sol. La jeune fille prit alors seulement conscience de l’endroit où elle se trouvait : sur une petite place qui jouxtait le port de la ville.

En faisant tomber de l’eau sur le sol en analysant la chute des gouttes, elle finit par localiser la Pokéball qu’elle attrapa et remit à sa taille. Puis elle posa de nouveau sa mai sur les écailles de son amie, qu’elle caressa lentement. Puis elle dit de son ton hivernal :

« Tu es magnifique… »

Pour toute réponse, le dragon lâcha un léger grognement. Elle semblait contente du compliment de sa dresseuse.

« C’est vrai que c’est une belle bête ! » Intervint alors Jalousie qui s’était rapprochée. « J’aimerais bien tenter un combat contre elle un de ces quatre. Si tu es d’accord bien sûr ! » Ajouta-t-elle à l’adresse du dragon. « Bon, je vous proposerai bien d’aller ailleurs pour discuter, mais Aquino est un peu trop grosse pour ça, maintenant. »

Luppy, toujours cachée dans la chevelure de sa dresseuse, lâcha alors un sifflement pour montrer qu’elle était impressionnée. Aquino n’avait plus rien à voir avec le poisson rouge qu’elle connaissait. Mais Yuu pensait déjà à la suite. La scène avait attiré pas mal de monde, et elle aurait préféré rester discrète…

« Allez, dispersez-vous, dispersez-vous bande de rats des quais, ya rien à voir ! Je suis le Sénéchal Bills, garde du port de Tarouga ! Ma pt’tite dame, vot’ dragon là, l’a pas l’droit d’rester sur la terre ferme ! Et si vous voulez le loger dans le port, faudra payer une taxe, comme pour n’importe quel bateau.
-Et si je la remets dans sa Pokéball ? Demanda Yuu ?
-Alors faudra quand même payer une taxe au cas où vot’animal, il ferait du dégât ! »

Le « sénéchal » sourit, laissant apparaître une dentition clairsemée au sein de laquelle luisaient trois dents en or.

« Et si moi, je payais pour elle ? » demanda alors Jalousie/Shark en s’avançant vers l’homme qui ne l’avait pas vue jusqu’ici.

L’apparition du capitaine pirate métamorphosa le dénommé Bills : sa figure se décomposa et il commença à trembler nerveusement.

« Ca… Ca… Cap’tain Shark ! J’vous avais pas vu ! Vous… Is’ disait que vous étiez mort !
-Mon cher Bills ! Ca fit une paie hein ? Quand est-ce qu’on s’est vu déjà la dernière fois ? Ah oui, le jour où tu as essayé de me planter un couteau dans le dos en plein abordage, et où tu t’es enfui juste après ! Oublie donc cette histoire de taxe et viens plutôt avec moi dans une taverne, j’te paie un verre ! Et on pourra causer ensemble du bon vieux temps… Dégagez vous autres, ya plus rien à voir ! »

Et elle attrapa violemment l’homme, qui ne s’était toujours pas remis de sa surprise, par la manche avant de le trainer dans une ruelle voisine. Obéissante, la foule que le Léviator et Bills avaient amenés ici se dispersa. Yuu nota que la parole du capitaine Shark avait un certain poids parmi les malfrats. Bientôt, la jeune aveugle se retrouva seule avec son dragon, mais elle lui demanda d’aller l’attendre dans le port, à un endroit qui ne gênerait pas les bateaux. Malgré sa taille désormais gigantesque, Aquino n’eut qu’à plonger pour disparaître de l’itinéraire des navires et de la vue des badauds.

Malgré tout le ramdam qu’elle avait provoqué, cette évolution, songea Yuu, avait au moins un avantage : désormais, Jalousie ne se considérait plus comme sa seule protectrice capable de la défendre, et elle l’avait même laissée seule en plein milieu de la ville pirate pour régler ses affaires. En un sens, ce n’était pas plus mal. Shark aussi attirait beaucoup l’attention ici, peut-être même trop. Et puis, elle avait besoin de réfléchir à plusieurs éléments qui entouraient cette évolution.

Premièrement, à l’époque où elle voyageait encore avec Yin, elle avait vu une intense lumière percer l’eau lorsque la Stari avait évolué. Cette fois-ci, elle n’avait absolument rien vu alors qu’Aquino se trouvait juste devant elle… Abigail l’avait prévenue : les mauvais traitements infligés à ses yeux étaient irréversibles et le peu de vue qui lui restait encore allait disparaître au fil du temps. Désormais, elle ne pouvait plus percevoir même les plus fortes lumières.

Deuxièmement, et heureusement, elle avait en revanche sentit immédiatement le changement de corps de son poisson, ainsi que l’étreinte qu’elle exerçait sur le voleur grâce à l’eau mais aussi grâce à une nouvelle maîtrise dont Abigail lui avait enseigné les bases durant la semaine qu’elle avait passé chez la sorcière après avoir réussi son épreuve d’Alchimiste : la maîtrise du sang. Elle ne souhaitait absolument pas manipuler les gens ou les Pokémon grâce à cette maîtrise, mais pouvoir les détecter immédiatement et plus précisément qu’avec l’eau, ce qui était fort utile et compensait en un sens, la perte totale de sa vue.

Troisièmement, sa maîtrise du sang n’avait pas été la seule à l’avertir de l’évolution. Lorsque cette dernière s’était produite, au moment même où Aquino commençait à changer de forme, Yuu l’avait ressenti. Un choc intérieur, comme si elle venait de recevoir un faible Choc Mental. Ce choc avait produit une étrange sensation en elle. Actuellement, elle était absente, mais elle s’était ravivée lorsqu’elle avait caressée Aquino tout à l’heure. Yuu n’était sûre de rien quant à son origine, mais elle avait déjà sa petite idée là-dessus : comme le lui avait expliqué sa mère adoptive, le fait de côtoyer pendant une longue période des créatures mystiques, comme des dragons tel que Léviator, faisait apparaitre un lien entre le Pokémon et son dresseur, qui octroyait de nouvelles capacités aux deux créatures. Et les lieurs qui collaboraient avec des dragons pouvaient ensuite prétendre à devenir de puissants dragonniers tels que sa « mère » adoptive. Ce lien, si c’était bien ça, était un atout qu’elle ne devait pas négliger. Il lui serait bien utile.

De fil en aiguille, elle repensa alors à la femme qui l’avait libérée et recueillie, Mel. Quel âge avait-elle ? Une petite trentaine d’année ? Maintenant qu’elle avait retrouvé tous ses souvenirs, Yuu nota avec ironie que sa mère adoptive avait l’âge d’être sa fille. Pourtant, elle ne niait ni le rôle qu’elle avait joué, ni le lien particulier qui existait entre elles. Lorsque Mel l’avait recueillie, Yuu était amnésique, aveugle, et contrôlait mal sa maîtrise. Sans l’aide de cette femme, qui lui avait appris à se débrouiller malgré sa cécité, elle serait probablement morte. Et puis, d’un autre côté, Yuu avait beau disposer des souvenirs d’un quinquagénaire, son apparence et son comportement était bien ceux d’une gamine de quinze ans, intelligente mais aussi tête brûlée qui s’était lancée dans une entreprise folle et probablement trop complexe pour elle. De ce point de vue, heureusement qu’elle pouvait disposer du soutien de sa « mère ». Et puis, si elle lui demandait de l’aide, elle était sûre que Mel l’aiderait à mieux connaître les dragons.

Les dragons… Un détail intrigua alors Yuu, auquel elle n’avait pas pensé jusque-là : certes, cela faisait longtemps qu’elle avait noué des liens avec la famille d’Aquino, puisqu’elle connaissait son père, Zénékaïnos, depuis avant la naissance de ses petits. Elle avait donc vu Aquino et Kéo naître et c’était avec elle et en partie grâce à elles que Yuu avait appris à maîtriser l’eau. Mais Aquino n’était un dragon que depuis quelques minutes. Avant, ce n’était qu’un simple poisson comme les Possirènne ou les Luminéon. Dès lors… Comment fonctionnait exactement ce lien ? Se transmettait-il de génération en génération ? Prenait-il en compte les relations passé du Pokémon, une fois que ce dernier devenait dragon par évolution ? Cela faisait beaucoup d’hypothèses, mais il lui était impossible de trancher.

Yuu décida donc qu’elle expérimenterait elle-même ce lien afin d’en voir les limites et d’en comprendre les orgines, le temps de pouvoir en discuter avec une spécialiste, Mel, ou bien Abigail. La sorcière n’était pas dragonnière, mais en tant que maître des ombres, elle devait en savoir long au sujet de ce type de liens humain/Pokémon.

Finalement, perdue dans ces pensées, elle commença à songer à Kéo. Elle aurait bien récité une prière pour l’âme de son amie décédée, mais elle ne croyait pas à ces choses-là. Selon elle, hormis peut-être quelques puissants maîtres de l’esprit, nul ne pouvait communiquer avec les morts une fois ceux-ci dans l’au-delà. Elle se contenta donc de se remémorer les moments heureux passés en compagnie de son Pokémon sur l’Ecaille Océan, puis elle finit par penser à Yin. La Staross elle, était bien vivante, et en mission pour aider sa dresseuse.

Yuu pria donc les étoiles de veiller sur son amie, puis elle sortit de sa réflexion et commença à descendre le port en compagnie de son amie à la recherche d’un bateau qui pourrait convenir à ses plans.