[ Clos ] Il ne peut y avoir qu'un seul maître du monde (pv Sylver)

[Eo Qalia]

Episode 1 : Le Temple
Où l'on prêche la bonne parole, on explore des ruines et on trouve des reliques sacrées.

Ainsi, son voyage commença.

Un voyage long, tortueux, semé d'embuches, d'épreuves, de joies et de désespoir. Un voyage, oui, mais surtout un ascétisme. Une quête. Afin de tester sa foi, son courage, sa dévotion envers la cause. Et pour montrer au monde que le Seigneur était digne d'être suivi. Qu'il récompensait ses fidèles par la félicité que procure la vraie foi quelles que soient les conditions, les privations, et toutes ces vanités dont sont victimes les hommes.

« Ô Seigneur, pardonnez ma vanité mais... j'ai faim. »
« Ne crains pas mon enfant, car au royaume du seigneur, tu ne connaitras jamais la faim »
« Ô Seigneur, pardonnez mes paroles indignes mais... c'est maintenant que j'ai faim. »
« Prends patience mon enfant, car un berger vient toujours en aide au Wattouat égaré. »
« Ô Seigneur, pardonnez ma pitoyable humanité mais... Chuis pas un Wattouat ! »

Vexée, Eo cessa d'écouter les paroles de son guide et se mura dans le mutisme. Seul le craquement de la neige sous ses pas empêchait le silence de se former. Et pourtant, malgré tout, un silence épais s'installait entre eux. Encore un miracle divin bien mystérieux !

« Pardonnez-moi mon Seigneur, mais pour de vrai, j'ai la dalle. Ca fait plusieurs jours qu'on marche et à part des chasseurs on n'a pas croisé âme qui vive. Enfin, âme humaine j'entends. »
« La solitude permet le recueillement et l'élévation de l'âme. »
« Mais pas le recueillement de mon estomac. »

Craignant d'avoir été trop loin, Eo conserva le silence encore quelques instants, laissant le soin aux branches craquant sous le poids de la neige d'éviter que celui-ci ne s'épaississe trop. Voyant que le Seigneur Nénuriel ne semblait pas fâché, elle reprit.

« Je veux bien croire aux vertues de la solitude, survivre tout seul dans les bois en vivant du minimum, tout ça... Mais je suis censée aller porter la bonne parole non ? Je suis supposée annoncer la bonne nouvelle aux Cadoizos ? »
« Patience, mon enfant, patience. »

Eh bien, puisqu'il n'y avait rien d'autre à faire que d'attendre, Eo se résolu à marcher dans le silence le plus profond et le plus digne dont elle soit capable, afin de bien faire savoir sa désapprobation de la manière la plus polie et respectueuse qui soit compatible avec son objectif.

Après encore quelques minutes de marche calme à travers les arbres chargés de neige, une forme sombre commença à se découper entre les troncs. Rapidement, un monticule grisâtre se présenta devant eux. Il s'agissait d'une vieille ruine en pierres grossièrement taillées. Une sorte de bâtisse à la forme bizarre, dont le toit complètement écroulé laissait voir la pointe d'un jeune arbre qui avait commencé à pousser là.

« Ca doit faire une semaine qu'on marche, on a atteint le refuge des pierres carrées. »

L'endroit était appelé ainsi en raison des gros rochers égarés ça et là autour de la bâtisse. Cette construction éloignée du village servait parfois de refuge aux chasseurs. Mais puisqu'il n'y avait pas de fumée s'élevant entre les trous de la toiture, l'endroit était vraisemblablement désert. Eo soupira. Peu importe, ça ferait toujours un abri pour la nuit. Le soleil était encore haut, mais son estomac lui coupait les jambes de toute façon, autant se reposer un peu.

[Sylver Belister]

[Mister T alias Tétro' communique par télépathie, seul Sylver l'entend.]

« Excusez-moi, Monsieur Kiplinger mais un de mes hommes a trouvé ce Pokémon dans votre cabine. Il est à vous ?

Quelle ne fut pas ma surprise lorsque je reconnus la Miaouss que j’avais rencontrée à Tarouga. Quel était son nom déjà ? Ah oui, BlackJack. Lorsqu’elle m’aperçut, son attitude changea du tout au tout : alors que jusqu’ici, elle cherchait à mordre et à griffer la main qui la retenait par tous les moyens possibles, en me voyant, elle se figea dans son attitude fière et hautaine que je connaissais si bien.

« Encore ce stupide Félidé, commenta le Zarbi. J’espère que vous ne comptez pas perdre plus de temps avec ce chat abandonné ?

Le mystérieux Pokémon ne fut pas le seul à réagir : Yuko, remarquant la présence du chat, se mit à aboyer et voulut aller saluer son amie. Amie qui visiblement ne partageait pas cette amitié et se réfugia encore plus dans sa fierté. Au moins avait-elle cessé de vouloir la tuer à tout prix. Le fait que Yuko lui eût sauvé la vie n’était sans doute pas étranger à ce revirement…

Je savais très bien ce qui attendait la chatte si je ne disais rien : elle terminerait par-dessus bord, comme la plupart des voleurs au sein des navires, c’était aussi simple que cela. Au vu de la température de l’eau, il ne lui faudrait pas plus de vingt minutes pour mourir gelée, si elle ne se noyait pas avant… Devant ce funeste constat, je n’avais pas le choix :

-On ne peut guère dire qu’il m’appartient, mais c’est le Pokémon de l’un de mes amis et il m’a demandé de veiller sur elle comme si elle était mon équipière. Cependant, elle est assez turbulente et j’ai quelques craintes à la laisser me suivre dans mes déplacements, d’autant plus que mon séjour dans la forêt enneigée risque de se prolonger… Pourriez-vous, je vous en prie, veiller sur elle en mon absence ? Contre rémunération il va sans dire.

-C’est votre jour de chance, me répondit e capitaine du navire, nous allons accoster à proximité de Loukai pour effectuer notre livraison, vous descendrez à terre ici, comme prévu. Mais là où ça pourrait vous intéresser, c’est que nous avons une autre livraison à faire ensuite à Comdo. Voilà l’arrangement que je vous propose : nous vous déposons dans la forêt, comme convenu. Dans une semaine, nous accosterons à Comodo pour notre seconde livraison. Nous pourrons vous y récupérer et vous y retrouverez votre Miaouss.

-Cela me paraît être une bonne idée. Quel est votre prix ?
-200 pièces d’or. Non négociable.

Comme toujours lorsqu’un homme prononçait cette réplique toute faite, cela signifiait que le prix pouvait fort bien être débattu et mon expérience en tant que marchand m’avait enseigné que la valeur réelle du service proposé était d’environ 50% inférieure au tarif initial. Après 15 minutes de négociation, le prix final fut fixé à 125 pièces.

Deux heures plus tard, nous débarquâmes et après avoir salué le capitaine, je m’enfonçai aussitôt dans la forêt. Une fois les premiers arbres dépassés, Tétrocruchamoule s’adressa à moi :

« Bien, je vois que vous avez fait preuve d’assez de clairvoyance pour ne pas emmener avec nous cet…animal. A partir d’ici, veuillez me suivre, je vous montrerai le chemin

Et il se plaça devant moi.

-Pourrais-je vous demander ce que nous recherchons ?
-Il y a dans cette forêt de vieilles ruines. C’est à proximité de cet endroit que votre grand-père s’est fait tuer, et avec lui le membre de la Multitude. Je n’en sais guère plus mais il y a de grande chance qu’on les ait tués pour les empêcher de révéler ce qu’ils venaient de découvrir.
-Je vois. Devons-nous nous attendre à un danger quelconque ?
-Si vous avez été suffisamment rusé pour tromper l’assassin de votre famille et lui faire croire que vous n’êtes plus qu’une larve gémissante réfugiée dans sa luxueuse couche, alors le seul danger que nous rencontrerons ici pourrait être un troupeau de Pokémon sauvage. Rien de très embarrassant en somme. D’ailleurs à ce propos, un détail dont je souhaitais vous entretenir me revient en mémoire : êtes-vous toujours persuadé que VOUS étiez bien la cible du tueur ?
-J’ai déjà réfléchi à cette hypothèse. Si le crime avait eu une motivation normale, il eût en effet été possible que ce ne fusse point moi qui était visé lors de l’attaque au manoir mais ma descendance : pour éradiquer ma famille, il était en effet bien plus judicieux de s’en prendre à mon fils et à mon petit-fils plutôt qu’à un vieil homme inoffensif et inapte à perpétuer sa lignée. Mais plus j’y réfléchis et plus je crois que son but n’est pas d’éliminer une personne mais de rayer notre nom de l’histoire. Sinon, il n’aurait eu aucune raison d’assassiner mon petit-fils. Aucune raison logique, du moins… Ce qui veut dire qu’il n’avait pas de cible précise : il voulait assassiner le plus de personnes possibles…
-Dans ce cas, répliqua le Zarbi, qui était en accord avec mon analyse, votre sœur est également en danger. A rester chez vous, elle offre une cible parfaite…
-Exact. Mais j’ai la conviction que le tueur ne s’en prend qu’aux héritiers de la famille : mon fils et mon petit-fils étaient les cibles prioritaires. Les autres, même s’il est terrible pour moi de parler d’eux en ces termes, ne représentaient pour lui que de simples victimes collatérales. D’ailleurs, l’assassin, qui qu’il soit, connaissait bien mes habitudes puisqu’il savait que ce jour-là, j’allais recevoir ma famille. Il a donc choisi SCIEMMENT de frapper en mon absence. Donc ni Yuu ni moi-même ne l’intéressions à l’époque.
-Il a très bien pu choisir cette date au hasard… Avança le Zarbi
-En ce cas, pourquoi ne pas avoir annihilé plus tôt ma famille ? Pourquoi avoir tué seulement le chef de famille ? Car lorsqu’il a frappé, je n’étais déjà plus le chef de la famille Belister. Un début d’explication me vient, et il concerne le mode de désignation de l’héritier…
-Donc, en résumé, parce que vous n’avez pas engendré d’un batârd, il aurait décidé de vous le faire payer en supprimant toute votre famille, en plus du chef ?
-Ce n’est pas le fait que mon fils soit issu d’une union légalement consommée qui importe mais le fait que j’ignorai à l’époque tout de la politique de l’héritier unique qui régissait ma famille. Cela voulait dire que par mon action, la famille pouvait se multiplier et croître et ça, l’assassin ne l’a probablement pas supporté.
-Hmmmm…. Réfléchit le Zarbi, comme s’il était le bras armé d’un malédiction qui condamnerait votre famille à n’avoir qu’un seul héritier… Mais pourquoi ne pas vous avoir tué vous en ce cas ? Vous êtes le premier à avoir fauté, non ?
-Je me refuse à aller jusque-là dans mes réflexions. Cela me semble…grotesque… Mais vous avez raison sur un point : il me faut en savoir plus sur cette coutume étrange. Pourquoi se limiter à un seul héritier ? Certes cela divise la fortune familiale mais tout de même, il est possible de déshériter un enfant sans l’occulter.  Et pourquoi seulement un bâtard ? Trop de questions restent sans réponses et nous nous perdons en conjectures. Il nous faut des faits, et j’espère que la visite de ces ruines va nous en apporter.
-En tout cas, je vois que votre âge n’a rien ôté à votre sagacité, seigneur Belister.
-Je vous remercie du compliment, même si en toute honnêteté, j’aurais aimé utiliser ma science à des occupations plus légères. Former mon petit-fils, par exemple…

A cette pensée, l’amertume que j’avais réussi jusque-là à contenir alors que nous évoquions pourtant depuis un moment ce sujet si pénible pour moi, éclata et je fus obligé de masquer mon visage de ma main pour éviter que perlent des lames.
Tétrocruchamoule, estimant sans doute que son compliment constituait déjà une marque de politesse suffisante eut tout de même la décence de ne pas insister sur le sujet. En revanche, je ressentis une pression sur le bas de ma jambe. C’était Yuko, qui me regardait, le visage triste, cherchant à me réconforter. Reconnaissant, je la pris dans mes bras et commençai à la caresser, tandis qu’elle cherchait à me lécher le visage. Cela me réconforta.

Nous continuâmes notre route en silence et finalement, guidés par Mister T, nous atteignîmes les fameuses ruines. En fait de vestiges, il s’agissait plutôt d’une hutte, sorte de refuge pour chasseurs, autour duquel de grosses pierres étaient disséminées.
A ma grande surprise, à l’intérieur se trouvait une jeune fille. D’après ce que m’avait raconté le capitaine du navire, elle était native de la région, comme en attestaient son physique : peau sombre et cheveux blancs. Elle portait un curieux accoutrement : les tissus qui la recouvraient semblaient extrêmement fins, inadaptés à ce type de climat si bien que pour résistait au froid, elle devait porter 5 ou 6 couches de vêtements sur elle. Un Nénupiot se trouvait à ses côtés Pour ma part, pour me protéger du froid, j’avais simplement enfilé un manteau de fourrure, simple mais correct, chaud et confortable par-dessus ma tenue habituelle. Mais froid ou pas, cela ne m’autorisait pas à ignorer les bonnes manières.
Aussi dis-je, tout en effectuant la révérence appropriée :

Bien le bonjour, mademoiselle. Veuillez excuser mon intrusion quelque peu cavalière. Je me nomme Kiplinger, Sylver Kiplinger, conteur itinérant, originaire de Flamen. Mon intérêt pour les vieilles légendes m’a conduit jusqu’à ces ruines dont on dit qu’elles recèlent un secret. Mais peut-être le saviez-vous déjà ?

Puis j’ajoutai : Puis-je vous être d’une aide quelconque, mademoiselle ?

Ce à quoi Tétrocruchamoule répliqua :

Etes-vous vraiment obligé de ramper devant la première bohémienne venue ?

La réaction de Yuko face à la nouvelle venue fut tout autre : dès qu’elle l’aperçut, ma fidèle Caninos se précipita vers elle en aboyant et s’agrippa à sa jambe pour réclamer son lot de caresses.

[Eo Qalia]

Eo était donc entrée dans le refuge et avait commencé à s'installer. Elle avait déblayé la neige que les trous de la toiture avaient laissé entré, posé sa besace, et commencé à extirper quelques branches sèches d'un petit tas de bois laissé là par les précédents occupants. Une bonne intention, mais c'était sans compter sur la neige qui avait humidifié une partie du bois.

Elle était donc occupée à choisir un combustible acceptable lorsque le crissement de la poudreuse sous les lourd pas d'un homme détourna son attention. Elle jeta un regard interrogateur à Nénuriel, qui ne le lui rendit pas, bien trop occupé qu'il était à se choisir un rocher au sec.

- Bien le bonjour, mademoiselle.

Eo leva les yeux vers l'homme qui venait d'apparaitre à l'entrée de l'abri. Un vieil homme, qui n'avait pas trop l'air du coin, en tout cas pas l'air d'un chasseur. Il avait plutôt une tête à venir de la ville. Et il portait un manteau qu'elle jugea un peu guindé. Sentiment renforcé par la révérence qui la prit de court.

- Veuillez excuser mon intrusion quelque peu cavalière. Je me nomme Kiplinger, Sylver Kiplinger, conteur itinérant, originaire de Flamen. Mon intérêt pour les vieilles légendes m’a conduit jusqu’à ces ruines dont on dit qu’elles recèlent un secret. Mais peut-être le saviez-vous déjà ?
- Euh, bonjour.

Eo se releva maladroitement, son fagot dans les bras, et redressa le châle qui lui tombait devant les yeux. Bizarre ce type. D'où sortait-il ? Il avait l'air de venir de loin... pour visiter ce refuge perdu ? Bizarre. Eo ne savait pas trop quoi répondre.

- Puis-je vous être d’une aide quelconque, mademoiselle ?
- Ben... J'allais faire du feu.

Ce qui était vrai, et c'était donc la première chose à lui passer par la tête. En même temps, qu'est-ce qu'elle aurait pu lui répondre d'autre ? Qu'il pourrait l'aider à répandre la parole de St... la parole...

A l'intérieur

*OMONNENU OMONNENU MON PREMIER PELERIN*

A l'extérieur

...

Il y eut en effet un bref instant de flottement, où Eo, la bouche légèrement entrouverte, fixait l'étranger comme une apparition divine. Ce qui était, de son point de vue, à peu près le cas. Fort heureusement pour nos protagonistes, et surtout pour l'image publique de la jeune fille, ce moment de silence ne dura pas plus de quelques secondes puisqu'un aboiement la tira de sa contemplation. Elle baissa les yeux, trouva un Caninos à ses pieds, et un rire enfantin éclata dans les airs.

- Il est trop mignon ! Il est à vous ? C'est quoi comme Pokémon ?

Elle posa son fardeau sur une grosse pierre vaguement taillée en forme de table et se baissa pour caresser le chien, puisqu'il ne semblait pas agressif le moins du monde. Bien bien bien. Il était grand temps de commencer une approche du futur pèlerin. Et puis aussi, d'être polie, tout ça.

- Alors, vous venez de... euh... de loin comme ça ? Pour visiter ce truc ?
Elle fit un vague mouvement d'épaule vers le décor qui les entourait. Quelques murs grossièrement posés, des cailloux taillés en forme de meuble, un arbrisseau et un petit tas de bois mouillé. Pas de quoi déplacer les foules a priori.
- Vous êtes sûr que vous êtes au bon endoit ? Il n'y a rien d'autre ici, et autant que je sache, cet endroit n'a aucune histoire particulière. Il y a bien sûr quelques histoires qui trainent sur des bouts de ruines perdus en forêt ici et là mais rien d'associé aux pierres carrées.

Elle jeta un coup d'oeil au Seigneur Nénuriel, au cas où il la détromperait, mais celui-ci s'était trouvé une pierre confortable et semblait bien parti pour y faire sa sieste, avec ou sans feu de camp.

[Sylver Belister]

[Pour l'histoire d'ouvrir la porte, j'avoue, je sais pas s'il y en a une. Si non ben je réécrirai le passage!]

Une fois de plus, Yuko me prit de court et alla, comme à son habitude, quémander des caresses à la jeune fille. Je m’étais récemment résigné à cela. C’était là un trait de caractère de ma Caninos que je ne pourrais jamais modifier… Et puis, il me fallait reconnaître que ma jeune partenaire avait un véritable don pour distinguer parmi toutes les personnes que nous rencontrions celles qui constituaient de bons camarades de jeu … Sa réaction ne manqua pas de faire tiquer Tétrocruchamoule :

« Malheureusement, il a tout de même fallu que vous preniez cette boîte à caresses sur pattes… Elle n’aurait pas pu rester avec le chat ?

Comme souvent lorsque Tetrocruchamoule dépassait les bornes, je me contentais de l’ignorer. En temps normal, je n’aurais agi ainsi avec personne mais je savais pertinemment que le Zarbi ne cherchait qu’à me provoquer. C’était comme un jeu pour lui. Il cherchait en permanence à savoir jusqu’à quel point je pourrais garder mon calme. Eh bien il risquait fort d’être déçu.
Lorsque que je lui demandai si elle avait besoin de mon aide, elle me répondit :

- Ben... J'allais faire du feu.
-Bien, voilà qui est justement dans mes cordes !

A ce moment précis, Yuko atteignit son objectif et commença à faire tout un cirque pour que la jeune fille lui accorde son attention. Cela eut également pour effet de faire sortir cette dernière de la torpeur dans laquelle elle semblait plongée : depuis que j’étais arrivé, elle me regardait comme si j’étais… Une quelconque apparition surnaturelle ou quelque bizarrerie du même acabit. Je n’aurais pas regardé différemment un spécimen de Tarsal à la corne verte et à la coiffe rouge… Mais lorsqu’elle aperçut ma Caninos qui fonçait vers elle, son attitude changea du tout au tout : un sourire éclaira son visage jusque-là si perplexe et elle s’exclama :

- Il est trop mignon ! Il est à vous ? C'est quoi comme Pokémon ?
-Hmmmmm, je vous présente Yuko ma Caninos. Elle est très joueuse, aussi j’espère que ses démonstrations de joie ne vous indisposent pas… Dans le cas contraire, veuillez accepter je vous prie mes plus humbles excuses. Je vous demande de m’accorder quelques instants, le temps que j’allume ce feu.
Alors qu’elle déposait son fagot de bois improvisé sur ce qui ressemblait fort à une table de pierre pour pouvoir jouer avec Yuko, je remarquai la présence d’un Nénupiot qui semblait dormir sur un rocher. Intrigué, je n’eus cependant pas le temps de lui poser une question à ce sujet que mon interlocutrice me demandait :

- Alors, vous venez de... euh... de loin comme ça ? Pour visiter ce truc ? Tout en désignant la pièce d’un geste circulaire.

Sa remarque n’était pas dénuée de bon sens. A première vue, cette ruine semblait être dénuée de tout intérêt archéologique au sens scientifique du terme. Mais je ne cherchais point ici la trace d’une civilisation disparue. Ce lieu ressemblait en tout point à un refuge de chasseurs. Et c’était justement le genre de lieu qu’un homme poursuivi par une horde de Pokémon sauvages n’aurait point dénigré. En revanche, s’il s’agissait d’un assassin, alors cette échappatoire se transformait en piège mortel…
En écho à mes pensées, la jeune fille à la peau sombre poursuivit :

- Vous êtes sûr que vous êtes au bon endroit ? Il n'y a rien d'autre ici, et autant que je sache, cet endroit n'a aucune histoire particulière. Il y a bien sûr quelques histoires qui trainent sur des bouts de ruines perdus en forêt ici et là mais rien d'associé aux pierres carrées.

Mais avant d’aller plus en avant dans mes réflexions, je me devais de répondre aux questions de la jeune demoiselle. On ne faisait jamais attendre la galanterie !

-Pour répondre à votre question, je viens de la cité de Cosmo Canyon, à l’ouest des monts Efferos, dans le royaume de Flamen. J’ajouterais qu’il m’a fallu presque une semaine de voyage par bateau pour arriver jusqu’ici.

Après tout, ce n’était qu’un demi-mensonge. Sylver Kiplinger était effectivement né dans cette ville…

-Mais laissez-moi donc m’occuper de ce feu ! Une jeune fille comme vous ne devrait pas avoir à s’occuper de tâches aussi ingrates. Par contre, je vois que votre bois est bien humide. Veuillez s’il vous plaît reculer un peu et ouvrir quelques instants la porte, il risque d’y avoir un dégagement de fumée…

Je plaçai les branches mouillées au centre de la pièce, là ou demeuraient les restes des anciens feu de camp. Puis, je tendis les mains paumes ouvertes vers le foyer, comme si je souhaitais les réchauffer à la chaleur de flammes qui n’existaient pas encore. Après un petit instant de concentration les flammèches jaillirent de mes doigts mais ne parvinrent pas à allumer le tas de bois, qui produisit une fumée noire et âcre à cause de l'humidité. Heureusement, le lieu étant assez bien ventilé, il n’y avait pas de risque d’intoxication. Je dus m’y reprendre à trois reprises pour finalement allumer un feu durable. Une fois cette tâche terminée, me retournai vers la jeune fille et lui dis :

-Et voilà ! Excusez-moi mademoiselle mais puis-je vous demander votre nom ? Je vois que vous semblez connaître la région. Donc selon vous, il n’y a rien de remarquable en ces ruines ?

La jeune inconnue n’eut pas le temps de me répondre que Tétrocruchamoule la prit de vitesse. Jusqu’ici, le maître de la Multitude était resté étonnamment silencieux, furetant à droite à gauche, dans l’espoir, supposais-je, de trouver un quelconque indice sur les événements qui s’étaient produits ici… Il me lança donc :

-Votre greluche à la peau sombre devrait réviser ses leçons d’histoire avant de déblatérer des inepties ! Regardez ici, sur ce mur ! Regardez cette inscription ! dit-il sur un ton triomphant.

Effectivement, j’avais déjà vu ces inscriptions, dans les ruines Zarbies. Il s’agissait de l’alphabet utilisé par ces créatures.

-Bien, je vais vous faire la traduction. Mais vous ne pourrez pas toujours vous reposer sur moi pour cela. Aussi, je me vois dans l’obligation de vous abreuver de ma science à ce sujet, sous peu ! Bref, ces hiéroglyphes Zarbies disent : « XX/XX/XXXX-oui, je n’arrive pas à déchiffrer cette date mais peu importe- L’humain et moi sommes poursuivi par un homme portant un foulard noir sur le visage. Alors que nous voyagions dans la forêt pour rejoindre le village de Loukai, nous avons été attaqués par un homme portant un foulard noir qui a commencé à incinérer les arbres autour de nous. Nous avons réussi à le semer et nous nous sommes réfugiés dans cette cabane. Felmor a trouvé une trappe qui mène à une espèce de sous-sol. Nous allons nous y réfugier le temps que notre poursuivant abandonne sa traque. Je scellerai l’entrée de l’intérieur. Je laisse ce message à l’intention des autres membres de la Multitude. Si jamais vous lisez ce message, c’est que je ne suis pas revenu. La trappe se trouve sous la table de pierre, que je déplacerai par télékinésie. Nous ignorons tout de cet homme, mais cela fait déjà quelques jour qu’il nous suit, même si jusqu’ici, il n’avait rien tenté de menaçant. Mais la puissance qui se dégage de cet être est effrayante, et pour une raison inconnue, je suis incapable de communiquer avec la Multitude lorsqu’il est proche de nous. Il est possible qu’il représente un danger pour la Multitude toute entière, aussi je laisse ce témoignage, moi, Xéros, Zarbi de la multitude, afin que mes semblables sachent ce qu’il s’est passé et prennent des mesures en conséquence ». Alors seigneur Belister, demanda Mister T, manifestement fier de lui, Qu’en pensez-vous ?

Je réfléchis à tout cela quelques instants puis déclarai, in petto, au Zarbi :

-Attendons d’abord que la jeune fille ait fini de se réchauffer. Elle a l’air transie de froid
-Votre sollicitude envers les jeunes pimbêches vous perdra, seigneur Belister… Enfin, il y a d’autres inscriptions Zarbies sur ce mur, je vais les déchiffrer puis nous irons explorer cette trappe.
-Fort bien, je me charge d’expliquer la situation à cette jeune fille.

Puis, me retournant vers cette dernière :

-Mademoiselle, je vois que vous tremblez de froid, puis-je vous prêter mon manteau ?

Entendant cela, Yuko, qui jouait avec la petite, dans ses bras, lança une Flammèche sur le sol. La flamme s’éteignit aussitôt mais cela eut pour effet d’augmenter la chaleur interne de ma Caninos, qui pouvait ainsi réchauffer la jeune autochtone.

-Bien, je dois également vous informer que le Zarbi qui m’accompagne-je désignai Tétrocruchamoule d’un geste de la main- a trouvé des traces de l’existence d’une trappe dans cette pièce. Dès que vous vous sentirez mieux, lui et moi irons l’explorer. Mais pour l’instant, je vous avoue que profiter de ce maigre feu me ferait le plus grand bien, et il me semble qu'à vous aussi!

Puis, mon regard retomba le Nénupiot qui dormait sur un rocher, je lui demandai, afin de relancer la conversation :

-Ce Nénupiot est votre Pokémon ?

[Eo Qalia]

-Pour répondre à votre question, je viens de la cité de Cosmo Canyon, à l’ouest des monts Efferos, dans le royaume de Flamen. J’ajouterais qu’il m’a fallu presque une semaine de voyage par bateau pour arriver jusqu’ici.

Eo leva les yeux, songeuse. Elle avait déjà entendu le nom de cette ville quelque part, mais elle n'arrivait pas à la situer. Peu importe, Flamen, c'était déjà loin, et du coup ça faisait vachement loin. D'ailleurs, il l'avait dit, que ça faisait loin. Ca devait être vachement rapide, le bateau, parce que ça faisait à peu près le même temps qu'elle était partie de chez elle et elle était pas arrivée à Flam...

-Mais laissez-moi donc m’occuper de ce feu ! Une jeune fille comme vous ne devrait pas avoir à s’occuper de tâches aussi ingrates. Par contre, je vois que votre bois est bien humide. Veuillez s’il vous plaît reculer un peu et ouvrir quelques instants la porte, il risque d’y avoir un dégagement de fumée…

Elle s'exécuta. Laisser les tâches physiques aux hommes était chose normale pour elle, mais allumer un feu, c'était plutôt une tâche ménagère... Enfin, si ça pouvait lui faire plais... OMONDIEUIFAIQUOI ???

« C'est un magicien, un allié utile pour la Cause. »

Eo ne prêta qu'une oreille distraite à son Seigneur et Maitre, en conséquence, il aurait été difficile sans lire ses pensées d'avoir conscience du bref commentaire du Nénupiot. Enfin, du bref commentaire que le cerveau un brin congelé d'Eo prêtait aux lèvres gluantes du Nénupiot. Bref, on avait un magicien en présence, et c'était plutôt cool !

-Et voilà ! Excusez-moi mademoiselle mais puis-je vous demander votre nom ? Je vois que vous semblez connaître la région. Donc selon vous, il n’y a rien de remarquable en ces ruines ?
-Je m'appelle Eo ! J'habite près d'ici.
Elle fit un vague geste vers le Sud, et en profita pour s'approcher du feu et frictionner ses mains.
-Pour les ruines, pas que je sache. Et je vois pas trop ce qu'on pourrait cacher dans ce trou à Rattatas. Un caillou ?

Sa dernière remarque tomba dans le vide. Elle leva les yeux vers Sylver, qui semblait réfléchir. Elle le laissa à sa méditation et s'occupa de gratter les oreilles du Caninos. Elle savait que les vieilles personnes devaient aller à leur rythme.

-Mademoiselle, je vois que vous tremblez de froid, puis-je vous prêter mon manteau ?
Elle cligna les yeux, surprise.
-Bah euh, merci, mais ça va, en fait. J'ai jamais vraiment froid.
Ça allait d'autant mieux que le Caninos avait fait des grillades avec les pauvres brins d'herbe qui avaient réussi à pousser entre deux cailloux.

-Bien, je dois également vous informer que le Zarbi qui m’accompagne a trouvé des traces de l’existence d’une trappe dans cette pièce. Dès que vous vous sentirez mieux, lui et moi irons l’explorer. Mais pour l’instant, je vous avoue que profiter de ce maigre feu me ferait le plus grand bien, et il me semble qu'à vous aussi!

Eo se tourna vers l'endroit indiqué par Sylver, et sursauta. Elle n'avait pas remarqué le... le... machin bizarre... qui flottait... Avec un œil au milieu. Un peu flippant le truc.

-Ce... enfin, il... a trouvé un trappe ? Ou ça ?
Elle jeta des regards tout autour d'elle dans l'hypothétique espoir qu'un panneau apparaisse soudainement. Mais puisque cela ne semblait pas être le cas, elle revint dans sa position accroupie face au feu, l'air clairement sceptique.

-Ce Nénupiot est votre Pokémon ?
Le visage d'Eo s'éclaira. Oui, la Quête, lui parler du Seigneur ! C'était une excellente entrée en matière. Elle le gratifia d'un sourire qui se voulait rayonnant, et qui pouvait paraitre un peu allumé, certes.
-Il est bien plus qu'un Pokémon ! En vérité... c'est notre Sauveur !
A cet instant, le Nénupiot laissa échapper un ronflement sonore, qu'Eo ne paru pas entendre.
-Notre vie sur la terre est dure, bien dure ! Vous aussi, vous avez du le penser, à un moment de votre vie, si ce n'est tous les jours ! Mais ce temps de souffrance est révolu !

Des étoiles plein les yeux, elle posa délicatement le Caninos à terre, et se leva, les bras tendus vers le rai de lumière que projeta l'ouverture de la toiture.

-Car le Seigneur Nénuriel est enfin parmi nous. Savez-vous ce que signifie sa venue ? Le salut ! C'est la fin de notre dure vie sur cette terre si peu généreuse. Le Seigneur est venu pour nous guider vers la Terre Promise ! Et moi... je suis sa messagère !

Elle tourna son regard vers Sylver, débordante de fierté, et repris sa harangue les yeux levés vers le ciel.

-Le Seigneur dit que la Terre Promise donne ses fruits sans qu'il y ait besoin de la travailler... Que ses rivières sont de lait et de miel... Bon, entre nous, je trouve ça un peu dégueu, mais le concept est sympa... Et les insectes doivent se coller dedans... Enfin ! C'est un endroit très cool. Où il fait chaud, et où il y a à manger pour tout le monde... C'est le paradis qui nous attend ! Voilà.

Légèrement essoufflée, les joues rougies par l'émotion, elle se rassit en silence. Elle était surprise elle-même d'en avoir tant dit d'un coup, et n'osait pas trop lever les yeux de ses pieds. N'osait pas voir le résultat de sa prêche sur le visage de son premier pèlerin. Il lui fallu un petit moment pour ouvrir à nouveau la bouche.

-D, donc. Euh. Une fois que vous aurez trouvé ce que vous cherchez là. Si vous voulez, je peux vous conduire là-bas. Là où, il fait chaud, et euh... Enfin, voilà, je peux faire ça pour vous.

Elle jeta un regard mal assuré au Nénupiot, pour quêter ses impressions sur cette première tentative. Celui-ci ouvrit un œil et se rendormit aussitôt. Elle en déduisit qu'elle ne s'en était pas trop mal sortie et poussa un soupir de soulagement. Elle risqua également un regard vers Sylver.

-Mais d'abord, je peux vous aider à faire... ce que vous voulez faire ici. Et après on peut y aller, pour la Terre Promise.

Un sourire timide conclut cette première étape de la Quête.

[Sylver Belister]

[Comme d'hab, s'il y a le moindre souci, MP-moi. Sinon, je te laisse choisir sur quoi on va tomber!!]

La Terre Promise… Mes études m’avaient appris qu’au fil des siècles, de nombreux courants philosophiques et religieux avaient cherchés à atteindre ce lieu paradisiaque. Mais toutes avaient échoué. Ces édens prenaient différentes formes selon l’origine de ceux qui développaient ces théories : le nid d’Ho-Oh, l’Abysse où Lugia se repose, une forêt gigantesque et toujours verdoyante… En matière de religion, j’étais somme toute assez traditionaliste : je m’acquittais avec rigueur des rituels obligatoires dus à Ho-Oh mais Sulfura avait toujours occupé une place au-dessus dans mon cœur. Du reste, la religion ne m’avait jamais attirée outre mesure. Ceci étant, j’avais toujours respecté les croyances de chacun. De plus, Eo était une jeune fille, hors de question de la froisser avec des remarques désobligeantes ! Mon honneur ne me le permettait tout simplement pas. En soi, ce n’était pas la recherche du paradis que je trouvais étrange chez elle mais le fait qu’elle prît son Nenupiot pour un grand Sauveur… Encore que les dieux que je priais étaient eux aussi des Pokémon… Soudain, une voix que je commençais à bien connaître s’introduisit dans mon esprit :

« Stupide ! Cette gamine est une demeurée. Partons, seigneur Belister, allons explorer le souterrain sans elle. Et sans le chien ! Il n’a qu’à rester avec elle !
-Il est hors de question qu’elles ne nous accompagnent pas. Répondis-je d’une voix qui n’incitait pas à la contradiction
-Bon, à la rigueur le chien peut venir, concéda Mister T, son odorat nous sera utile. Mais je vous INTERDIS d’emmener cette fille. Elle est complètement allumée ! Vous ne pouvez pas voir ce que je viens de constater à son sujet !

Je choisis, comme de coutume, de ne pas relever les propos outranciers de mon compagnon. Du moment qu’il les gardait pour mes seules oreilles…

-Elle communique avec son Pokémon par télépathie ?
-Non ! Enfin oui mais pas de la même manière que nous le faisons en ce moment. Ce n’est pas de la télépathie à proprement parler. Nous autres, Pokémon Psy, n’appréhendons pas le monde de la même manière que vous les humains. Pour vous, un corps en mouvement représente une entité vivante. Pour nous, les êtres vivants sont avant tout des réseaux de pensées plus ou moins complexes suivant l'’être. Quand je veux communiquer avec vous par l’intermédiaire de votre esprit, je capte votre pensée et lorsque vous avez terminé, j’y introduis la mienne, de la même manière que vous attendez que votre interlocuteur ait fini de parler pour comprendre ce qu’il a dit et lui répondre. Mais ne vous est-il jamais arrivé d’être interrompu dans votre réflexion par une idée nouvelle ? Les idées sont la source des pensées, elles les modifient et par voie de conséquences, ce sont elles qui nous permettent d’agir sur le monde. Mais si je me mettais en tête de me manifester non pas sous forme de pensée mais sous forme d’idée, vous n’en auriez pas conscience. Imaginez que vous êtes en train de parler à quelqu’un. Tout à coup, vous apercevez un autre homme et cet homme vous rappelle que vous deviez vous entretenir avec votre interlocuteur d’un sujet important. Vous penserez alors que vous avez-vous-même eu cette idée de changer de sujet. Mais d’une part, cette idée vous a été inspirée par un élément extérieur et d’autre part, rien ne vous garantit que l’homme que vous avez aperçu ne se soit pas trouvé là à dessein. Vous comprenez ?
-Donc Eo et son Nénupiot communiquent par le biais d’idées ?
-C’est plus complexe que cela. Comme je vous l’ai expliqué, il est impossible de déterminer la source d’une idée, et comme ces dernières se trouvent entre deux pensées, elles ne sont pas assez tangibles pour être comprises dans leur intégralité. Je suis tout juste capable de les percevoir. Cette fille a l’idée que son Nénupiot lui parle, et lui dit d’aller chercher le miel qui coule au fond de l’estomac du grand Grotadmorv ou je ne sais quoi. Si c’est vrai, ça veut dire que ce Pokémon possède des pouvoirs psychiques de très loin supérieurs aux miens-et ceux de tous les Pokémon psy existants, excepté Mewtwo, et encore !! Si c’est faux, cela veut dire que la gamine a des hallucinations auditives et que ses idées bizarres viennent d’elle-même, ce qui veut dire qu’elle est folle donc qu’on ne doit pas prêter l’oreille à ses délires !!!

Je ressentais plus que de l’agacement chez Tetro. Il avait utilisé exactement la même technique au temple du volcan pour masquer ce qu’il éprouvait vraiment : de la peur. Bien sûr, ma remarque mentale ne lui avait pas échappée :

-Il est bien possible que j’ai peur mais je vous garantis que cela ne m’empêchera pas de réduire en charpie le saigneur Démentiel s’il tente quoi que ce soit !
-Depuis quand prêtez-vous foi aux élucubrations mystiques d’un Pokémon qui souhaite être le maitre du monde ? Après tout, n’est-ce pas aussi votre but, en quelque sorte ?
-Mon but est celui de la Multitude : la connaissance et rien d’autre. Si celle-ci nous permet de manipuler les événements, tant mieux !!! Mais jamais je ne recourrai à une technique aussi lâche et dévastatrice que la foi pour manipuler les gens. J’ai vu les ravages que ce… fléau peut causer au monde !! Il y a longtemps, bien avant votre naissance, des fanatiques de Ho-Oh ont décrétés que les Zarbis étaient des hérétiques qui réécrivaient la destinée voulue par le dieu phénix. Je venais tout juste de naître. Notre ruine a été dévastée. Une infime partie de la Multitude a réussi à s’enfuir. Tout ça à cause de votre fichue FOI ! Ce jour-là, j’ai compris quelque chose. Vous autres humains, n'avez pas me cran de prendre en main votre vie. C’est pourquoi vous avez besoin de notre aide pour vous orienter. C’est ce que je suis en train de faire avec vous. En utilisant la LOGIQUE, pas en débitant des sornettes fumeuses !
-Ce que vous dîtes à mon sujet est vrai mais n’oubliez pas que je vous aide autant que vous me guidez. Nous avons tous deux des intérêts à mener cette quête à bien. Quant au reste, si vous le voulez bien, nous en reparlerons plus tard.

Le Zarbi ne répondit pas. Apparemment, il se concentrait. J’en profitai pour donner ma réponse à la jeune fille au teint mat. Sa quête relevait de l’impossible et à ce titre, je n’avais aucune raison valable de l’aider ; Mais, pour en avoir fait, et en faire encore en ce moment même, l’expérience, je savais que toute quête impossible contenait sa part de danger. Et je ne pouvais décemment pas laisser la jeune fille sans protection… Il me fallait encore y réfléchir, aussi annonçais-je à ma jeune compagne :

« Je vous prie de m’excuser pour cette attente, mademoiselle. Je vous remercie sincèrement de bien vouloir m’accompagner dans ce souterrain mais je dois vous prévenir : il n’est pas exclus que cela se révèle être dangereux. En outre, nous sommes à la recherche de deux mots, un homme, et un Zarbi. Je vous le dis afin que vous vous prépariez à ce que vous allez voir, si toutefois vous voulez toujours venir avec moi. Si vous changez d’avis, soyez assurée que je le comprendrai tout à fait et que je ne vous en tiendrai nullement rigueur. Quant à votre quête, j’ai malheureusement moi-même un périple à accomplir. Ceci étant, en reconnaissance de l’aide que vous m’avez apportée, j’accepte de vous suivre sur une partie de votre chemin vers la terre promise, si cela vous convient toujours, bien entendu. »

Soudain, un bruit sourd m’interrompit. Apparemment, la table de pierre qui se trouvait dans la pièce venait de basculer sur son flanc, révélant une trappe cachée, comme l’avait annoncé Tétrocruchamoule. Ce dernier m’avait expliqué en chemin que la Puissance Cachée des Zarbi état des projections d’énergie psychique pure dont les usages étaient multiples. Avec une telle arme dans leur arsenal, les Zarbi ne voyaient pas l’intérêt d’apprendre d’autres attaques, m’avait-il dit. Je comprenais mieux ses propos à présent. Je repris :

« Voici la trappe. Souhaitez-vous toujours m’accompagner, mademoiselle ? Auquel cas, je passerai devant ».

Yuko, qui avait entendu et compris le sens de ces mots sauta des bras d’Eo non sans avoir obtenu une ultime caresse et se mit en position, devant moi, prête à me défendre. Mister T voletait au-dessus de moi, son œil unique fixé sur la trappe. Trappe que j’ouvris, et qui débouchai sur un long corridor souterrain obscur. Ayant entendu la réponse de la jeune fille, je laissai tomber un caillou dans le trou. Le bruit de l’impact me parvint assez vite. Ce tunnel ne devait pas faire bien plus de deux mètres de haut. Il devait s’agir d’une sortie de secours, facilement accessible en cas d’urgence. Je fis apparaître une flammèche au-dessus de ma paume, descendis et commençai à avancer, Yuko me précédant de trois pas. Soudain, alors que le couloir décrivait un angle droit, je crus discerner une ombre qui n’appartenait pas à notre groupe. Aussitôt, Yuko grogna.

[Eo Qalia]

Eo écouta avec attention la longue réponse de son interlocuteur, hochant la tête à multiples reprises, de plus en plus vigoureusement, tant et si bien qu'on eut pu croire qu'elle y perdrait une ou deux cervicales. Mais son petit corps était rompu à ce genre de démonstration d'énergie, et ses hochements de tête ne décrurent pas avant la fin de la tirade de Silver.

« Une double quête ! C'est super, ça fera une super histoire à mettre dans nos futurs livres sacrés ! »

Elle se perdit un moment dans ses pensées, peuplées de batailles épiques et de petites paraboles rafraichissantes. Oh, avec des petits dessins dans les marges, tous dorés !

« Voici la trappe. Souhaitez-vous toujours m’accompagner, mademoiselle ? Auquel cas, je passerai devant ».

Eo secoua la tête pour reprendre ses esprits.

« Ooooh ça c'est fort ! Personne n'avait jamais remarqué ça avant. Ce refuge est très excentré mais quand même... Enfin, peu importe, allons-y ! »

Elle attrapa le Seigneur Nénuriel sous le bras, ramena ses châles par-dessus son épaule et emboita le pas de Silver d'un air conquérant. Ils descendirent dans le couloir souterrain à pas prudents, Eo jeta des regards émerveillés tout autour d'elle, bien qu'il n'y ait, objectivement, rien de bien intéressant à regarder. Ce qui cessa d'être vrai aussitôt qu'ils tournèrent le premier angle du couloir.

Eo n'eut pas besoin de l'arrêt soudain de son compagnon pour apercevoir la silhouette les devançant dans le couloir. Elle avait un bon sens de l'observation, et le peu de lumière diffusé par la paume de Silver lui suffisait pour distinguer, à quelques mètres d'eux, les contours d'une petite forme se dandinant vers eux. A mesure qu'il s'approchait, sa couleur devint apparente, ainsi que les contours de ses plumes duveteuses et de son petit bec arrondi. Une sorte d'oiseau s'approchait d'eux à petits pas, un air timide sur le visage.

S'il y avait une chose à remarquer chez cet oiseau, c'était le sac qu'il portait sur son épaule, à la manière d'un père noël en miniature. Quelque chose, dans son air timide et plein de curiosité, inspirait confiance à Eo. Nénuriel lui donna un petit coup de patte dans les côtes.

«Va lui parler mon enfant, il te guidera.»

Eo s'approcha sans hésitation, et sans prêter attention à la réaction de son compagnon d'aventure. Elle s'accroupi face à l'oiseau, un sourire léger sur le visage.

« La volonté du Seigneur m'a conduit jusqu'à vous. Je ne sais encore quel rôle vous avez à jouer dans la Quête, mais sachez que j'ai confiance en vous.»
L'oiseau cligna des yeux, et fouilla dans le sac qu'il portait sur l'épaule. Il en sorti une petite boite ornée d'un ruban. Un cadeau ?
« Dois-je l'ouvrir, ou attendre que le moment soit venu ? »
Elle ne savait pas très bien elle-même à qui elle devait adresser sa question. Mais il était peu probable que l'oiseau l'eut entendue, puisqu'il s'était approché de l'autre humain en présence et avait déposé un autre cadeau à ses pieds. Après quoi il fit volte-face, et avança en se dandinant dans le couloir...
« Nous guider... Il va nous guider. On devrait le suivre. » Elle se tourna vers Silver.
« De toute façon, ce n'est pas comme s'il y avait un autre chemin, mais on devrait le suivre. Le Seigneur a parlé, ce oiseau est de confiance. »

Et avec toute sa confiance, Nénuriel sous le bras et son cadeau à la main, elle emboita le pas du petit Pokémon sans se soucier de ce qui pouvait les attendre dans les ténèbres...

[Sylver Belister]

Alors l’ombre mystérieuse était un Cadoizo ! Heureusement, ce dernier ne semblait pas hostile : il nous distribua même un cadeau chacun, un à Eo et un à moi-même. Mais la réaction de la jeune fille devant l’apparition de l’oiseau au plumage rouge me surprit, même si, en tout honnêteté, j’eus dû m’y attendre : elle essaya de le… convertir à sa philosophie. Mais j’étais bien trop poli pour oser emettre le moindre commentaire face à cette situation… particulière… Ce qui n’était absolument pas le cas du Zarbi :

« Attendez, attendez, elle n’est tout de même pas en train d’essayer de… Non mais je REVE ! Ca ne se passera pas comme ça ! Je ne laisserai pas l’influence néfaste de sa religion à la noix corrompre des Pokémon innocents !Si elle continue comme ça, la seule chose à laquelle elle aura droit dans la terre promise, c’est une tombe ! Et je la creuserai moi-même ! Seigneur Belister, nous devons stopper ce désastre avant qu’il ne devienne inéluctable !

Réprimant un sourire, je lui répondis :

-Alors maintenant, les Pokémon sont de pauvres innocents ? Que sont devenues les « créatures stupides » ? Allons, ce n’est qu’une enfant accompagnée d’un Nénupiot. A son âge, il est normal d’avoir une vision grandiose de la religion et des divinités.
-Vous ne comprenez pas ! Comme je vous l’ai dit, soit cette fille est folle, soit son Pokémon la manipule ! Dans les deux cas, cela finira mal et je ne tiens pas à assister à la suite. Mais d’un autre côté, je ne peux me résoudre à abandonner des Pokémon sains entre les griffes de cette cinglée ! Il en va de mon honneur !

Visiblement, le Zarbi était entré dans un état de quasi-psychose. Mais c’était logique : la destruction de son foyer par des fanatiques religieux avait de quoi remonter n’importe qui à l’égard des croyances… Pour calmer le jeu, j’enchainai sur un autre sujet :

-N’oubliez pas la raison de notre présence ici…

Un aboiement provenant de l’avant du tunnel m’interrompit. Yuko avait profité de notre petit arrêt pour partir explorer la galerie. Intrigué, je m’excusai auprès d’Eo et la rejoignis, quelques mètres plus loin. A cet endroit, pour ce que je pouvais en distinguer, le tunnel décrivait une ligne droite. Mais ce qui avait fait aboyer mon Pokémon était les objets qui se trouvaient sur le sol. Des os. Des os humains. Je compris aussitôt à quoi-ou plutôt à qui j’avais à faire et appelai Tétro par la pensée. Par chance, son esprit m’était ouvert. Il m’entendit et me rejoignis. Avisant les ossement, il ne prononça plus un mot et se concentra. Finalement, il reprit la parole d’une voix grave :

« Votre chien a vu juste, il s’agit bien des os de votre grand-père. Vu qu’ils sont noircis par endroit, j’aurais tendance à dire que le corps a été brûlé. Est-ce qu’il a été tué de cette façon ou est-ce qu’on a incendié son cadavre, ça je ne saurais le dire. Par contre, je capte nettement la présence résiduelle, l’écho de l’empreinte psychique si vous préférez, de Xeros. Il n’y a donc pas de doute sur l’identité du mort. »

Alors c’était ici et de cette horrible manière que mon aïeul avait trouvé la mort… Je ne l’avais jamais connu, aussi n’éprouvais-je pas vraiment de chagrin, mais malgré tout, l’émotion me saisit et je recommandais tout de même l’âme du défunt à Sulfura. Soudain, alors que je contemplai ce qui restait de la dépouille, un détail attira mon regard. Non loin des os, un message avait été gravé dans la pierre, en flaminois. Il était écrit « La~me Noire ». Entre le a et le m, un symbole avait été tracé mais il était illisible. Il pouvait tout aussi bien y avoir marqué « Larme Noire ». Et si la larme noire ne m’évoquait absolument, j’avais déjà entendu parler de la « Lame Noire ». Il s’agissait d’un ensemble de techniques ninjas enseignés propres au village de Loukaï. Etait-il possible que l’assassin de mon grand-père fut un ninja ? L’hypothèse, bien qu’un peu trop évidente à mon goût pour être parfaitement exacte, n’était pas à écarter. Bientôt, j’irai explorer ce village pour recueillir des informations à ce sujet. Mais pour l’heure, j’avais plus urgent à  faire. Je félicitai Yuko pour sa découverte et la récompensai avec une baie tamato, sa préférée. La Caninos glapit de bonheur et se roula sur le ventre dans l’attente de caresses que je lui accordai bien volontiers.
Le Zarbi sorti de son mutisme sur ces entrefaites :

« Et gna gna gna, câlin câlin ! Bon sang mais vous ne réalisez pas que nous sommes en présence d’une psychopathe en puissance ! Nous devons faire quelque chose pour l’arrêter ! Et quand je dis « nous », je veux dire « moi », car entre vos bons principes aussi utiles qu’un livre entre les pattes d’un Ramolos et vos séances d’attouchement avec votre chien, le monde sera bientôt un ramassis de fanatiques décérébrés avant que vous ne vous décidiez à ouvrir les yeux sur l’importance de cette menace ! C’est décidé, je l’empêcherai de nuire, même si je dois pour cla conquérir et éduquer le monde moi-même pour l’empêcher de tomber dans la décadence !»

Comme à son habitude, Mister T dépassait les bornes, et comme à mon habitude, je le laissai faire sans intervenir. C’était encore le meilleur moyen pour qu’il se clame.

Alors que le Zarbi terminait sa tirade, nous fumes rejoint par Eo et le Cadoizo, ce dernier semblant vouloir nous guider quelque part. Intrigué, nous le suivîmes et débouchâmes à l’air libre, en plein cœur de la forêt, au beau milieu d’une tribu de Cadoizo. Il y avait là une vingtaine d’individus qui nous regardaient sa mot dire, nous toisant et nous jaugeant comme l’avait fait leur congénère un moment plus tôt. Certains étaient déjà prêts à distribuer leurs cadeaux, la mai déjà plongée dans leur besace. Mais apparemment, ils ne savaient pas encore à qui les donner, ils semblaient hésitant sur la conduite à tenir.
Tétro profita de ce moment de flottement pour me lancer :

« Vous allez voir, moi aussi je sais être persuasif quand je le veux ! Bien plus que ce dieu nénuphar de pacotille ! Je vous parie que j’arrive à recueillir plus d’offrandes de la part de ces fidèles Pokémon que lui ! »

Et il lança avec force, par télépathie, au groupe de pingouins rouges et blancs, mais aussi à l’attention d’Eo :

« Ecoutez-moi tous ! Je suis Tétrocruchamoule, premier Zarbi de la multitude et j’ai un message de la plus haute importance à vous transmettre ! Suivez-moi, et vous serez sauvés !…»

Il était tellement concentré sur son discours qu’il ne m’entendit même pas lui dire que je refusais son pari. Dépité, je me tournai vers Eo et m’excusai :

« Je suis profondément navré pour cette regrettable interruption, mademoiselle. »

[Eo Qalia]

Et Eo suivit le Cadoizo.

Sylver partit au-devant d'eux, attiré par les aboiements de son Caninos. Il n'y avait qu'un seul chemin, Eo aurait tout aussi bien pu suivre Silver directement, mais elle suivait sagement les petits pas chaloupés de son guide aviaire. Très. petits. pas.

C'est un test. Une épreuve très simple, je dois simplement le suivre. Rien de bien compliqué, juste un petit peu de patience et de confiance. Silver ne doit pas être bien loin de toute façon.

Effectivement, il n'était pas bien loin, même s'il leur fallu une bonne minute pour le rejoindre. Eo ravala sa salive en avisant les ossements au sol. Un regard à Silver... il paraissait concentré. Elle décida, dans toute sa sagesse, de laisser ceci de côté, et d'augmenter de quelques crans sa méfiance à l'égard de cet homme. Un type qui trouve ça tout à fait normal de trouver un mec mort, c'est un peu louche.

Elle enjamba précautionneusement les ossements en levant ses châles (pas facile sans mains libres, d'ailleurs) et continua à suivre le Cadoizo, s'autorisant un regard hésitant en arrière, vers Silver. Elle n'était pas sûre qu'il soit sage de l'attendre, de laisser son guide sacré la distancer. Mais à son soulagement, il les suivit. Suspect ou pas, Silver, c'était quand même son premier pèlerin ! Et ils avaient une double-quête à mener ! ... Aussi suspecte sa quête soit-elle, ouais !

Eo adressa un hochement de tête déterminé à elle-même, et raffermit sa prise sur le Seigneur. Elle réussirait cette première aventure, oui oui oui !

C'est sur ces bonnes pensées, et après une courte marche sur les talons du Cadoizo, que le tunnel finit par s'ouvrir sur un champ de neige étincelante. Eo cligna des yeux plusieurs fois et leva le bras pour se cacher derrière ses châles le temps que sa vision s'habitue. Ils n'avaient pas passé tant de temps dans le tunnel, et il faisait encore grand jour. Elle jeta un coup d'oeil derrière elle.

« Déjà ? On a pas raté une intersection ? C'est tout nul. »

Même pour une toute première aventure, c'était un peu léger. Enfin bon, mieux vaut ça que rester perdu sous terre pour l'éternité, non ? Pour l'heure, il fallait aller de l'avant et...

« Oh ils sont trop mignooooons ! »

Des zoizo ! Plein de jolis zoizo rouges et blancs, mignons comme tout ! Finalement, elle ne regrettait pas le tunnel qui pue ! En plus, ils avaient plein de cadeaux ! Plein de joie à partager, exactement selon les valeurs du St Nénu...

« Ecoutez-moi tous ! »

Eo se retourna vivement vers le Zarbi. C'était la première fois qu'un Pokémon lui parlait par télépathie en dehors de Nénuriel, et il lui fallu plusieurs secondes pour comprendre ce qui se passait. Ce qui lui fait presque rater la suite du discours.

«Je suis Tétrocruchamoule, premier Zarbi de la multitude et j’ai un message de la plus haute importance à vous transmettre ! Suivez-moi, et vous serez sauvés !…»
« Oh, oh ! Tu veux nous aider à rassembler des fidèles ? Tu veux devenir prophète de St Nénuriel aussi ? Trop cool ! »
« Non Eo ! »
Nénuriel interrompit son enthousiasme d'une voix abrupte.
« Il veut les entrainer dans le mensonge ! C'est un ennemi, un adversaire ! Il veut utiliser la force sacrée de la vraie foi pour détourner ces âmes innocentes du droit chemin et conquérir le monde pour asservir sa propre soif de pouvoir ! »
« Hein ? Mais non, Silver a dit qu'ils allaient nous aider dans la Quête, après. »
« Ce Pokémon maléfique poursuit sa propre quête. Une quête maléfique de pouvoir et de domination. Tu dois l'arrêter, Eo ! »

Eo jetait des regards confus entre Nénuriel et le Zarbi. Ce drôle d’œil flottant ne lui inspirait pas confiance, mais quand même... Son regard finit par s'arrêter sur Silver. Elle ne savait pas s'il pouvait entendre la voix de Nénuriel tout comme elle pouvait entre la voix du Zarbi.

« Je suis profondément navré pour cette regrettable interruption, mademoiselle. »
Voulait-il dire qu'il ne cautionnait pas les agissements du Zarbi ? Ou qu'il était désolé qu'il faille que ça se passe ainsi, puisque leurs objectifs étaient opposés ?
« Euh... Je ne sais pas quelle est votre quête... Si vous suivez les idées de votre Pokémon. Mais, si... si vous voulez entrainer ces âmes innocentes dans le mensonge et les éloigner de la Terre Promise, je me dois de vous en empêcher ! » Acheva-t-elle d'un air plus décidé. Elle ponctua le tout d'un hochement de tête, et se tourna résolument vers les Cadoizo. Les pauvres oiseaux avaient l'air encore plus désemparés qu'à leur arrivée.

« Mes frères ! Celui-ci ne vous dit pas la vérité ! Il veut vous entrainer dans le mensonge et vous soumettre à son commandement ! Seul le Seigneur Nénuriel peut vous emmener sur les terres de lait et de miel... Même si les oiseaux ça aime peut-être pas le miel... Enfin, je veux dire, ce sera un endroit où la nourriture coule à foison, et où il fait chaud ! Et... enfin, pas trop chaud, pour vous, parce que vous avez l'air d'avoir un plumage plutôt épais. Et... Et... Euh... Regardez par vous-mêmes toute la gloire du Seigneur !! »

En un geste elle fourra son cadeau dans sa manche pour avoir les mains libres, et brandit Nénuriel au-dessus de sa tête.

« Oh, oh ! Et je fais des miracles aussi ! »

Elle posa doucement Nénuriel à terre, qui continuait de fixer silencieusement l'assemblée de Cadoizos face à lui. Eo remonta ses manches, secoua les bracelets de perles à ses poignets, et fit un mouvement circulaire de la main droite, comme si elle caressait la surface d'une sphère. Une petite langue rose pointa au coin de ses lèvres. Elle poursuivit ce mouvement circulaire quelques secondes. Un scintillement finit par se produire, et un petit objet blanc tomba délicatement au creux de sa main.

Les yeux d'Eo s'arrondirent.

« Seigneur Nénuriel, j'ai réussi ! Merci pour ce divin présent ! Vous avez vu ? Vous avez vu ? Mon Seigneur fait aussi des cadeaux aux gens, on défend les mêmes valeurs non ? »

Elle s'accroupit et proposa sa paume ouverte aux Cadoizo. Celle-ci contenait une toute petite fleur blanche. Une fleur de nénuphar. Eo se fit plus calme, et son volume sonore baissa. Une brise agita ses cheveux. Le noir de sa peau et le blanc de sa chevelure entamèrent une valse.

« Au royaume du Seigneur, toutes les fleurs et tous les fruits poussent aussi facilement. C'est ça qui m'a convaincu. Je voudrais partager ce bonheur avec vous... avec le plus de monde possible. Voir un monde couvert de fleurs, qu'il n'y aurait pas besoin de cultiver... Des fleurs offertes par la terre. Ce serait merveilleux... non ? »

[Sylver Belister]

« Euh... Je ne sais pas quelle est votre quête... Si vous suivez les idées de votre Pokémon. Mais, si... si vous voulez entrainer ces âmes innocentes dans le mensonge et les éloigner de la Terre Promise, je me dois de vous en empêcher !
- Ma quête ne concerne aucunement une quelconque divinité. Je suis sincèrement désolé si je vous ai induit à le croire. Je vous dois la vérité, à présent. Je suis ici, comme je vous l’ai dit plus tôt, pour étudier les mystères qui entourent ce lieu. Car j’ai de fortes raisons de croire que ce lieu a jadis été le théâtre d’une sombre malédiction. Une malédiction qui aujourd’hui encore, ravage les rares survivants de ma famille. Les os que nous avons trouvés dans le tunnel étaient ceux de mon grand-père paternel. Lui aussi était accompagné d’un Zarbi lorsqu’il s’est rendu dans cette région, pour affaire. Et il y a été poursuivi par un mystérieux agresseur qui l’a tué en l’incendiant. Mo aïeul s’est lui-même réfugié dans cette cabane parce qu’il cherchait un refuge. En dernier recours, Xeros, le Zarbi qui l’accompagnait a gravé son témoignage sur les murs du refuge, pour que les siens puissent un jour savoir ce qui lui est arrivé. Je fais équipe avec Tétrocruchamoule dans le cadre de cette enquête. C’est pour cela que nous voyageons ensemble. Je ne suis pas responsable de ses actes et je ne les approuve ni ne les désapprouve. De mon point de vue, les dieux n’ont qu’un rôle mineur sur la vie des hommes. Oh, je ne nie pas leurs pouvoirs, bien au contraire, ils peuvent lancer les actions dans la guerre et faire basculer le destin des conflits d’une seule parole. Mais ils n’ont aucune véritable influence sur les hommes eux-mêmes en dehors de ça. Je ne suis pas athée,-qui peut douter de l’existence des dieux alors qu’ils se montrent à nous ?- et je reconnais tout à fait l’influence que les dieux peuvent avoir sur nous mais je les vois plus comme des guides moraux, qui nous donnent de la force pour mener à bien ce en quoi nous croyons et nous donnent une idée de la perfection à viser. Si toutefois nous désirons la viser. Dans cette optique, cela ne me dérange absolument pas que vous croyiez en la toute-puissance de votre Nénupiot et votre religion n’est pas plus risible qu’une autre. Vous avez le droit de recruter les fidèles, mais évitez de recourir à la force ou à la tromperie. L’adhésion de vos fidèle doit être sincère, car si vous les contraignez, elle ne durera que le temps que durera votre contrainte. Soyez sincère dans ce que vous prêchez et ne vous laissez jamais vous-même aveugler par votre propre foi… C’est tout ce que j’avais à vous dire. Je suis navré si j’ai pu insinuer quoi que ce soit qui vous aurait fait espérer davantage, mais je resterai en dehors de ce débat, car il ne me concerne pas ».

A ce moment-là, je fis volte-face et allai rejoindre Yuko, qui était restée en retrait. Visiblement, elle ne comprenait pas ce qui était en train de se jouer. Mais elle fut quand même très contente de me voir s’intéresser à elle, et elle quémanda aussitôt des caresses que je lui accordai de bon cœur. Il y avait au moins un être ici qui, comme moi, resterait neutre, quelle que soit l’issue de cette guerre théologique.

Eo avait-elle compris mon message ? L’avait-elle seulement écouté ? Toujours est-il qu’elle se retourna vers la foule des pingouins et leur dit, d’une voix emprunte de ferveur mystique :

« Mes frères ! Celui-ci ne vous dit pas la vérité ! Il veut vous entrainer dans le mensonge et vous soumettre à son commandement ! Seul le Seigneur Nénuriel peut vous emmener sur les terres de lait et de miel... Même si les oiseaux ça aime peut-être pas le miel... Enfin, je veux dire, ce sera un endroit où la nourriture coule à foison, et où il fait chaud ! Et... enfin, pas trop chaud, pour vous, parce que vous avez l'air d'avoir un plumage plutôt épais. Et... Et... Euh... Regardez par vous-mêmes toute la gloire du Seigneur !! »

Puis elle brandit son Pokémon au-dessus de sa tête, afin que tous puisse le contempler et ajouta :

« Oh, oh ! Et je fais des miracles aussi ! »

Et elle reposa son Nénupiot et leva les mains au ciel comme si elle invoquait son pouvoir élémentaire. Et c’est exactement ce qu’elle fit puisqu’une fleur de nénuphar tomba du ciel directement dans sa main. Visiblement ravie, elle s’exclama :

« Au royaume du Seigneur, toutes les fleurs et tous les fruits poussent aussi facilement. C'est ça qui m'a convaincu. Je voudrais partager ce bonheur avec vous... avec le plus de monde possible. Voir un monde couvert de fleurs, qu'il n'y aurait pas besoin de cultiver... Des fleurs offertes par la terre. Ce serait merveilleux... non ? »

A ma grande surprise, Tétrocruchamoule n’avait pas dit un mot devant ce curieux spectacle, qu’il s’était contenté de regarder d’un œil consterné. Puis, comme si de rien n’était, après que Eo eut fini son discours, il enchaîna :

« Je n’aurais pas la prétention de vous considérer comme mes frères, car vous êtes des Cadoizo et je suis un Zarbi. Vous êtes des Pokémon des glaces, je suis une créature psychique. Nous sommes trop différents. Mais cela ne me dispense pas de vous mettre en garde contre la folie de cette humaine ! Celle qui prétend vous offrir des miracles n’a que des belles paroles à vousdonner ! Et vous le savez ! Vous savez pertinemment que la fleur qu’elle vient de faire apparaître n’est rien d’autre que la manifestation du pouvoir élémentaire que détiennent certains humains et certains Pokémon. Je vous préviens, n’écoutez pas ses propos, ce ne sont qu’un ramassis de fadaises et d’inepties ! Et je vous le prouve !

Il fit léviter avec ses pouvoirs une plante jusqu’à hauteur d’yeux des créatures.

« Vous voyez cette plante. Vous la connaissez. C’est un chardon des glaces. Cette plante n’est pas jolie. Elle n’a pas d’odeur envoutante. Elle vous pique si vous la touchez. Elle a un goût répugnant Mais elle possède deux grands avantages, tels que vient de nous les décrire cette jeune écervelée : il y en a beaucoup et surtout, elle pousse toute seule ; mais cette plante ruine le sol et détruit les autres espèces. Je vous le dis, voilà à quoi ressemblera le paradis décrit par cette fille. Seul ce type de plante peut pousser dans un monde totalement oisif. Et il faudra aussi vous en contenter comme nourriture, parce qu’il n’y aura rien d’autre ! Ne vous laissez pas aveugler par les promesses illusoires de la foi ! Aucun bonheur ne vous attend dans ce monde utopique! Seule la connaissance, la vraie, celle de NOTRE monde, celui où je vous parle en ce moment même, pourra vous permettre d’avoir une vie meilleure, à défaut d’être parfaite, car la perfection ici n’existe pas et elle n’existera jamais nulle part ! Seule la connaissance et le savoir peuvent être parfaits et les miens le sont ! Et exceptionnellement, je suis prêt, pour vous empêcher de sombrer dans cette folie, à les partager avec vous. ».

Apparemment, quelques oiseaux s’étaient laissés séduire par le discours du Zarbi car ils venaient déposer leurs cadeaux devant lui. Mais certains faisaient de même avec Eo ! Comprenaient-ils seulement ce qu’on leur disait ?
« Tu sais, Yuko, je crois que cette guerre théologique est loin d’être terminée… »
Ma Caninos, à mes côtés, grogna son assentiment.

[Eo Qalia]

Lorsque le Zarbi pris à son tour la parole, Eo sursauta, extirpée de ses rêveries.

Et elle l'écouta.

Au début, elle était plutôt confuse. Se faire traiter de folle... ça faisait mal. Mais c'était loin d'être la première fois. Cependant, elle ne pensait pas que les Pokémons, dont elle estimait les sentiments plus purs que ceux des humains, se rangeraient aussi à cet avis... Mais son pouvoir, ce n'était pas de la magie ordinaire, elle le savait, au fond d'elle-même... Même si elle ne pouvait pas vraiment le prouver...

Et puis ce chardon. Oui, bien sûr, il n'y avait pas que de belles plantes sur la terre, mais... Est-ce qu'elle était la seule à voir cela ? Qu'un idéal est possible ? Ses poings se serrèrent sur la petite fleur qu'elle avait créé. Non, ne pleure pas. Tu dois montrer que tu es forte. Assez pour les guider vers la Terre Promise. Parce que... Parce que... Mais la voix assurée de Tétra était plus forte que sa petite voix intérieure. Bien plus forte. Les yeux baissés sur ses poings fermés, elle senti une larme rouler sur sa joue. Pourquoi est-ce qu'il refuse le bonheur ? Pourquoi les gens ne sont pas intéressés par le bonheur ? Tétra parlait de connaissance. La connaissance plus forte que le bonheur ? Ce n'étaient pas les valeurs qu'Eo défendait. On fait la guerre avec la connaissance. La foi... la foi peut aussi...

Quelque chose effleura sa cuisse. Elle releva les yeux. Un Cadoizo avait déposé un cadeau à ses pieds. L'oiseau pépia gaiement. Eo sourit. Elle regarda Nénuriel. Nénuriel la regarda.

Oui, il ne lui en fallait pas plus. Seule, elle était faible. Mais avec la force de son Seigneur avec elle... elle pouvait le faire !

«N'oublie pas. Tu ne le fais pas pour toi. Tu le fais pour eux. »

Elle hocha la tête. Sa vigueur retrouvée, elle se releva, et étendit les bras en croix pour regagner l'attention de la foule.

«C, c'est vrai que toutes les plantes ne sont pas bonnes. Et tous les humains ne sont pas bons et les Pokémons non plus. Mais ça ne veut pas dire que tout est mauvais. Euh... En fait, ce que je veux dire, c'est que si, si, si ce charbon, euh non chardon, pousse, ici, c'est parce qu'il n'y a rien d'autre. Ce n'est pas parce que le chardon est fort qu'il pousse, c'est parce qu'il n'y a aucune autre plante plus forte que lui ici. C'est comme, euh, les gens, enfin les Pokémons aussi, du coup, ben, certains sont gentils et certains sont méchants. Mais les gens sont méchants parce qu'on ne leur a pas donné de gentillesse. Ni de bonheur. La gentillesse ne pousse pas toute seule, mais s'il y a de la gentillesse, elle contamine les gens. Et du coup, dans un endroit plein de fleurs et de fruits, les chardons ne poussent pas. Enfin... ça a du sens, non ? »

Elle adressa un regard à Nénuriel, qui demeura impassible. Il approuvait donc. Cela lui redonna du courage. Elle balaya la foule du regard, ignorant Tétra.

«Donc, le problème, c'est qu'il faut du bonheur, à la base, pour en donner, donc, euh, moi j'en donne ! Je fais beaucoup d'efforts pour ça ! Et si vous avez des problèmes... enfin, je ne parle pas le... le Pokémon ? Mais je ferai tout mon possible pour vous aider, quel que soit le problème ! Parce que c'est ça, le chemin vers le bonheur, et, euh, avec tout le bonheur et tout le soleil et les rivières de miel et tout, ben sur la Terre Promise, vous serez tous heureux, tout le temps ! »

A travers son regard passionné, elle voyait les Cadoizo galvanisés par son discours. Mais beaucoup déposaient encore des cadeaux aux pieds du Zarbi. Que faire, mmmh... Ah, oui, bien sûr ! Contrer ses arguments ! ..... Déjà, se rappeler de ses arguments !

«Lui, le, le... le faux berger ! Il vous parle de connaissances ! Oui, les connaissances, c'est bien, mais en vrai, même avec toutes les connaissances du monde, vous ne serez pas heureux pour autant ! Cela ne fait pas le bonheur ! La science crée de très belles choses, des médicaments par exemple, mais elle crée aussi des armes de destruction ! La connaissance, ça peut aussi apporter le bonheur. C'est vrai. Et moi, je suis pour tout ce qui peut apporter le bonheur ! Mais la science n'est pas une finalité, et elle ne mène à rien ! Alors que le Seigneur Nénuriel, lui, il vous emmènera quelque part ! Il vous emmènera sur la Terre Promise ! Là où le bonheur pousse à même le sol ! »

Les Cadoizo hésitaient. Il fallait quelque chose. Un argument choc ! Vite Eo, dis quelque chose !

«Et si vous venez, le Seigneur vous fera un bisou ! »

[Sylver Belister]

Soudain, un détail me revint à l’esprit ! Le cadeau que m’avait offert le Cadoizo ! Absorbé par la découverte des ossements, je l’avais machinalement rangé dans ma besace. Je l’en ressortis et l’examinai. Il était de forme rectangulaire, et devait faire 50 centimètres sur 40, pour une dizaine de centimètre d’épaisseur. Remarquant que je m’intéressais à son présent, le Cadoizo qui me l’avait offert s’approcha de moi et lança un « Cadoi-Cadoizo » sonore.

« Je vous prie d’excuser ma conduite, répondis-je. Emporté par l’action, j’ai complètement oublié de vous présenter mes remerciements pour votre cadeau. Puis-je l’ouvrir ?

Le pingouin bicolore cligna des yeux et leva sa patte libre en l’air. Je pris cela pour un « oui ».
J’ouvris délicatement le paquet, puis la boîte qu’il contenait. A l’intérieur se trouvait un magnifique chapeau en cuir, semblable à celui que je portais actuellement mais d’une teinte plus claire, et surmonté d’une plume rouge vif. Peut-être une plume de Cadoizo.

« Il est tout simplement magnifique ! Merci beaucoup ! »

Apparemment l’oiseau semblait ravi que son cadeau me plaise.
Tandis que j’essayai mon nouveau couvre-chef, Eo s’adressa de nouveau au Cadoizo, relançant de plus belle le débat théologique. Mais elle semblait mal à l’aise, comme si la tirade précédente du Zarbi avait ébranlé ses conviction. Elle semblait sur le point d’éclater en sanglots. Ce petit jeu était allé trop loin. Je me devais d’intervenir avant qu’il ne dégénère.

Mais Eo se reprit et c’est d’une voix redevenue confiante qu’elle entama une longue tirade concernant les vertus positives de la gentillesse, et la manière dont elle se répandait parmi les être. Comme précédemment, Tétro attendit qu’elle eut fini pour répliquer. Oh bien sûr, je me doutais bien qu’l ne faisait pas cela par pure courtoisie. Il avait une raison autrement plus valable à ses yeux pour ne pas l’interrompre. Et après leur premier échange, je m’étais fait ma petite idée sur sa motivation. S’il la laissait parler en premier, c’était tout simplement pour pouvoir ensuite lui renvoyer ses arguments en pleine finesse. Cette technique, dans la bouche d’un tribun tel que Tetrocruchamoule était redoutable, en particulier face à une oratrice aussi inexpérimentée qu’Eo. Une fois le discours de sa jeune adversaire terminée, Tétro contre-attaqua :

« Ecoutez-donc ce qu’elle dit, cette jeune sotte qui ne connaît rien à la marche du monde ! Voyez jusqu’en quelles abysse peut mener la méconnaissance de la nature ! Je suis d’accord avec elle pour dire que parmi les espèces conscientes, la gentillesse appelle parfois la gentillesse. Et encore. Mais regarder encore ce Chardon. Croyez-vous qu’il se considère lui-même comme mauvais ? Non. Il ne fait que ce qu’il sait faire, croître et se multiplier, et ce schéma n’inclut nulle notion de sentimentalisme puéril et déplacé ! Dans la nature, seuls les plus forts survivent ! Seuls ceux qui parviennent à tuer leurs opposants perdurent ! La nature est le règne des assassins. Mais nous ne faisons pas partie de cette nature-là ! Nous l’avons dépassée ! Car nous savons vaincre des ennemis qui sont pourtant plus forts, ou plus nombreux que nous ! Et ceci, uniquement grâce à la connaissance. La connaissance ne permet pas toujours le bonheur, c’est vrai. Mais au moins permet-elle de survivre ! Que ce serait-il passé si vous, Cadoizo, n’aviez pas appris et retenu, au fil des générations, que la sève de l’arbre-neige, bien que très appétissante, est en réalité un poison mortel ? Vous ne seriez pas ici, face à moi. Pourtant, vous avez déjoué ce piège de la nature. Et comment ? Grâce à la connaissance ! De plus, le bonheur béat, insouciant et innocent que cette gamine vous promet n’est pas le vrai bonheur. Est-ce le bonheur que simplement ignorer tous les malheurs auxquels on est, ou on peut être, confronté ? Je ne crois pas non. Car comme je viens de vous le dire, le destin, comme la nature, ne connaît ni la pitié, ni la gentillesse ! Vaut-il mieux pour le malade, ignorer qu’il va mourir et le persuader qu’il est heureux malgré sa souffrance ou d’utiliser sa cervelle et de tenter de lui trouver un remède ? Bien sûr, il est possible qu’aucun remède n’existe. Mais ce n’est pas une raison d’attendre benoîtement sa fin ! Bien sûr, comme elle vous l’a dit, la science ne sert pas qu’à soigner les gens. Elle peut aussi tuer, je ne le nie pas. Mais qu’en est-il de la foi ? Toute religion, quelle qu’elle soit, est exclusive ! Elle ne laisse pas de place aux autres religions, à tel point que les fidèles peuvent aller jusqu’à tuer ceux qui ne partagent pas leur avis ! L’Histoire est pleine de cas semblables ! Je vous me dis, vous avez le choix entre un hypothétique bonheur illusoire, dans une vie future meilleure qui n’existera peut-être jamais ! Moi, je vous propose d’améliorer concrètement le monde dans lequel vous vivez ! Bien sûr, il ne sera pas parfait, mais grâce au savoir, vous serez vous-mêmes en mesure de l’améliorer ! Et je ne vous ferai pas l’affront de vous faire un bisou !

Satisfait de sa déclaration, le Zarbi revint vers moi et me lança :

-Alors, Seigneur Belister, que pensez-vous de mon intervention ?
-Ne pensez-vous pas en avoir trop fait ?
-Point du tout ! La foi est une aberration humaine qui doit être combattue avant qu’elle ne commence à détruire !

Apparemment, il ne s’était pas rendu compte qu’il avait maintenu son lien télépathique avec moi mais aussi avec la jeune fille, à en juger par la façon dont elle le regardait.

-N’oubliez jamais que la foi est toujours la première chose qu’utilisent les hommes pour comprendre les phénomènes qui leurs sont inexplicables…
-Et cela ne fait que les plonger dans l’erreur ! Et cette erreur peut parfois avoir des conséquences dramatiques ! Prenez l’exemple des Terrosiens qui croyaient à l’origine que la foudre qui tombait du ciel à cause de la colère d’Electhor, alors que 99% des orages sont des phénomènes purement naturels qu’ils commencent à peine à appréhender !
-Certes, mais cela leur a permis de commencer à trouver un début d’explication. Là se trouve le début de la curiosité, car ceux qui ont inventé cette théorie avaient au moins autant envie de comprendre ces phénomènes que les savants qui leur ont succédé. Bien sûr, cette hypothèse erronée a perdurée. Mais le progrès, vous avez dû le constater en consignant l’Histoire, ne s’arrête jamais.
-S’il n’y avait que ça ! Mais vous savez très bien que es fanatiques ne s’arrêtent pas là ! Si encore ils se contentaient d’être de simples passéistes inoffensifs ! Mais vous savez très bien qu’ils massacrent allègrement ceux qu’ils nomment les hérétiques !
-Et qu’êtes-vous donc en train de faire avec Eo ? Vous la condamnez pour des faits qu’elle n’a même pas encore commis et qu’elle ne commettra sans doute jamais ! A-t-elle menacé ces Cadoizo ? Non ! Vous a-t-elle menacé ? Non. Vous agissez exactement comme les fanatiques que vous détestez tant ! La religion a l’air d’être la seule raison de vivre de cette petite. C’est ce qui lui donne la force d’avancer.Elle ne fait de mal à personne et essaie de faire le bien autour d’elle ! Si jamais elle tente de contraindre les autres par la violence, là je ne dis pas mais jusque-là, vous n’avez aucun motif rationnel de la condamner !

Je m’attendais à une réplique acerbe. Au lieu de quoi, Tétrocruchamoule répondit d’une voix blanche :

-Silver… Vous parlez comme Silver… Lui aussi nous a interdit la vengeance contre les hommes, en prétextant lui aussi que nous en deviendrions des fanatiques…

Silver… Il faisait allusion au précédent leader de la Multitude…

-Reconcentrons-nous sur notre objectif, si vous le voulez-bien. Notre but est de trouver l’assassin de mon grand-père et de Xéros !

Tandis que nous avions cette conversation, Yuko échangeait des glapissements avec le Cadoizo qui nous avait guidés. Puis ma Caninos se dirigea vers moi en aboyant. Quelque chose n’allait pas. Voyan que je ne comprenais pas, Yuko lança une attaque flammèche sur le papier du cadeau que j’avais laissé sur le sol.

« Brûler le cadeau ? Mais pourquoi… Non, Yuko, tu ne veux pas me dire que… L’attaque Cadeau ! »

Les Cadoizo ne souhaitaient pas remercier celui qu’ils prenaient pour leur saveur, mais faire fuir celui qu’ils considéraient comme un charlatan. Sur le point de céder à l'affoement, je criai :

« EO, FUYEZ, ELOIGNEZ VOUS DES CADEAUX !!! »

[KABOUM!!!]

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