[ Clos ] C'est l'heure du... Bain ! [Silver/Luciano]

[Victoria di Neralitha]

Song, la chatte, était perchée sur un arbre à quelques mètres de hauteur, et elle regardait sa dresseuse, endorme comme à son habitude, le dos contre le tronc et son éternel chapeau noir rabattu sur sa tête, pour protéger ses yeux des rayons solaires. La respiration lente et régulière qu’elle entendait indiquait qu’elle dormait profondément. Avec sa nature calme et placide, la félidée aurait dû apprécier ce court moment d’accalmie dans la vie trépidante de sa maîtresse-et donc dans la sienne. Pourtant, elle n’était pas satisfaite. Quelque chose la dérangeait, depuis un moment déjà. Et il suffisait de regarder sa dresseuse pour comprendre quoi.

Silver n’avait jamais été une icône de l’élégance et du bon goût, et vu la vie aventureuse qu’elle menait, elle ne risquait pas de le devenir de sitôt. Mais tout de même ! Lorsque vos vêtements et votre peu commençaient à exhaler une odeur digne d’un Misamax en rut, il était peut-être temps de faire quelque chose !!! Bien sûr, Song avait essayé à plusieurs reprises de convaincre sa dresseuse de prendre un bain, au fil des nombreux lacs qu’elle avait trouvé dans cette forêt. Mais cette dernière n’avait rien voulu savoir. Lorsque la chatte, dépitée et agacée, l’avait aspergée avec une gerbe d’eau, Silver s’était jetée en arrière de plusieurs mètres, comme si elle avait esquivé une Fatal-Foudre !

Pourtant, elle et ses habits auraient tous eu besoin d’un bon passage prolongé dans l’élément liquide : ses bottes, son manteau et même son chapeau étaient maculés d’une boue noire et collante parsemées de feuilles et de brindilles, qui dégageaient une horrible odeur âcre depuis leur traversée de la canopée. En tant qu’assassin, Silver se devait de ne pas se faire repérer par ses cibles… Et cela incluait aussi de contrôler son niveau de puanteur! Song avait essayé d’en convaincre Silver, mais cette dernière, fidèle à elle-même et têtue comme un Trioxhydre, n’avait rien voulu savoir, et n’en avait fait qu’à sa tête. Maintenant, la moindre goutte de pluie l’effrayait, ce qui ne plaisait pas du tout à Song. Elle savait pourquoi sa dresseuse avait la phobie de l’eau, et elle comprenait sa réaction. Voir sa grande sœur adorée, son modèle, noyer un innocent sous ses yeux aurait pu traumatiser n’importe qui. Mais cette peur panique de l’élément de la tribu dont elle était originaire s’était encore accrue après son suicide raté qui l’avait fait aboutir dans l’océan Erasien… L’océan… S’ existait un paradis en ce monde, alors pour Silver, cette étendue d’eau était le lieu qui s’en éloignait le plus. Mais il y avait peut-être pire. Car Silver était après tout abyanaise, même si sa tribu l’avait rejetée. Que se passerait-il si jamais elle se découvrait un don pour la maîtrise de l’eau ? Après tout, sa mère et sa sœur, même si elle était folle, savaient toute le deux manier cet élément…

Song ne voyait qu’un seul moyen d’échapper à cette catastrophe annoncée : acclimater sa maîtresse à cet élément-son élément-petit à petit… Même si pour le moment, la partie était loin d’être gagnée… Finalement, la chatte cessa de s’inquiéter pour sa dresseuse et sombra elle aussi dans un sommeil réparateur… dont elle fut tirée une demi-heure plus tard par un bruit horrible. Comme si quelqu’un faisait crisser sa griffe sur de l’ardoise… Réveillée en sursaut, la chatte observa les alentours… Un Pokémon qu’elle n’avait pas remarqué était auprès de sa dresseuse. Apparemment, il était le seul de son espèce dans le coin… Sans doute un étranger. Il s’agissait d’une Mysdibulle qui… était en train de trafiquer quelque chose avec le manteau de Silver… Mais… Mais qu’est-ce qu’elle fabriquait ?

Descendant de son arbre pour mieux voir, la félidée s’approcha de l’intruse avec la discrétion dont seuls les chats avaient le secret… Apparemment, cet horrible grincement tait produit par le raclement des dents de a fée sur… Les épées de Silver ! La créature aux deux gueules… mangeait les épées de l’assassin ! Et surtout les lames en fait. Car elle jetait les gardes brisées sur le sol, tels les noyaux non comestibles d’un fruit juteux. Apparemment, la petite gloutonne n’avait pas remarquée qu’elle n’était pas la seule Pokémon autour de l’arbre, et elle s’affairait à dévorer goulument une sixième épée, en la tenant par la garde et en la dévorant tel un batôn de glace.
Mais avant que la Chacripan ait pu faire quoi que ce soit, Silver s’agita dans son sommeil. Comme tout bon assassin, elle était capable d’être sur le qui-vive une seconde seulement après son réveil. Mais surtout, elle était capable de réagir sans être réveillée, avant même que ladite seconde ait expiré. Aussi, son bras essaya-t-il machinalement d’attraper son épée pour parer ce que son instinct lui révélait déjà comme étant une menace potentielle. Mais bien sûr, l’arme ayant été dévorée elle saisit à la place la créature aux longues dents qui visiblement, n’apprécia pas d’être dérangée pendant son repas, puisqu’elle mordit la main de celle qui voulait la mettre au régime avec la plus grande de ses deux gueles, ce qui fit hurler Silver de douleur, la réveillant complètement, pour le coup. Heureusement, ses mains étaient protégées par d’épais gants de cuir.
Song se décida enfin à sortit de sa contemplation de ce curieux spectacle en poussant un rugissement menaçant. La Mysdibulle, réalisant sa présence, se rendit compte qu’elle n’avait pas à faire à un, mais à deux adversaires, aussi préféra-t-elle filer sans demander son reste.

« Aouch, mais elle fait mal la saleté ! râla la jeune fille en se massant sa main endolorie. Bon sang, elle m’a bouffé six épées en plus ! Il m’en reste plus que deux ! Rah, elle perd rien pour attendre ! Et les criminels aussi ! Faut que je refasse ma collection maintenant ! Roooooooooooh… Bon, le soleil est encore haut dans le ciel. Song, tu me réveilles deux heures avant le crépuscule d’accord ? Marre de dormir à la belle étoile ! Ce soir, on se trouve une auberge avec un bon repas, et un bon lit ! »

Et elle se recoucha. Mais Song savait qu’elle n’aurait pas besoin de la réveiller. Car sa dresseuse n’avait même pas remarqué que l’arbre contre lequel elle était adossée était en fait un corail géant habité par des Pokémon aquatiques. Et elle n’avait pas non plus fait attention aux flaques autour d’elles qui grossissaient de plus en plus… L’eau venait reprendre ses droits sur le lagon corail et bientôt, la zone serait inondée… Un moyen comme un autre de lui faire prendre un bain, songea la Chacripan en regagnant son abri dans les hauteurs, pour se mettre hors de portée de la drôle de marée qui s’annonçait…

[Luciano di Neralitha]

Depuis que Luciano et Servus avaient quitté Abyan, en faisant une escale au port, le duo avait pas mal voyagé. En effet, pris d’une envie soudaine et saugrenue, le jeune noble avait tout à coup décrété qu’ils partiraient en bateau pour explorer Tenkei, ce qui n’avait pas manqué de surprendre ses compagnons... Et lorsque le maudit avait demandé quand le prochain navire se mettrait en route pour remonter la Sonata, on lui avait poliment déclaré qu’il n’y en avait aucun de prévu... Était-ce parce que le trafic avait été interrompu, ou parce qu’il était tout simplement impossible de remonter la rivière à cause des forts courants qui la parcouraient ? Cela, Luciano n’avait pas cherché à le savoir... Il s’en moquait même éperdument. Tout ce qu’il voulait, lui, c’était qu’on lui obéisse...

Et après avoir fait des pieds et des mains auprès des autorités, gueulé un peu partout et fait un flanc aux marins, au terme de longues discussions et à l’aide de nombreux billets, le jeune noble avait finalement obtenu gain de cause, et on lui avait préparé une embarcation luxueuse, destinée à transporter une bonne trentaine de personnes. Aussitôt, la « plèbe », comme il aimait appeler les gens du peuple, s’était rassemblée là pour profiter du voyage, mais seuls les plus fortunés avaient pu monter à bord : déjà qu’on avait accepté de lancer un voyage pareil à l’improviste, on n’allait pas non plus prendre tous les pécores qui voulaient en bénéficier, hein...

Ainsi donc, Luciano di Neralitha, noble, maudit et maître du destin des plus faibles de son état, s’était lancé dans cette folle aventure, accompagné, comme toujours, de son fidèle Absol, ainsi que de son esclave, Servus, et du petit Pokémon Spectre qui suivait le mystique du Feu partout. Remonter la Sonata n’avait pas été une tâche aisée, et à plusieurs reprises, le voyage avait dû être interrompu à cause du mauvais temps, de la fatigue des rameurs (bah oui, il fallait bien des serviteurs pour faire avancer tout ça...) ou encore de l’étroitesse de certains bras de la rivière. Le bateau s’était d’ailleurs échoué à l’entrée de la Canopée, dans des eaux trop peu profondes pour lui permettre de continuer, et Luciano, excédé, avait payé un des passagers pour qu’il l’emmène au-delà de la forêt humide à dos de Vaututrice, lui et son esclave. L’oiseau avait fini par se poser tout près du Lagon Corail, trop épuisé pour continuer, malgré sa grande taille, avec trois cavaliers sur le dos. Bien évidemment, Luciano, agacé, avait traité celui qui les avait aidés d’ « incapable doublé d’un abruti fini », tout ça dans un espagnol tout à fait distingué et caractéristique de la noblesse de Tenkei...Ce qui jurait avec le contenu des propos du maudit, tout en leur donnant une tonalité particulière et inqualifiable.

« En fait, c’est le désert, ici... Rien à voir, rien à s’approprier et surtout, pas de proie à chasser... »

Le maudit en était presque déçu d’avoir fait un si long chemin. En effet, lui qui avait toujours vécu en milieu surprotégé, urbain et peuplé, il était perplexe, pour ne pas dire dérouté, d’être tombé sur un endroit aussi vide que le cerveau des jeunes pucelles qu’il se faisait un plaisir de dévergonder lors des soirées mondaines et des bals dansants. D’un geste nonchalant, il envoya donc Servus explorer la Canopée, qu’ils n’avaient fait que survoler, histoire de savoir si tout ce voyage avait servi à quelque chose ou s’ils n’avaient plus qu’à changer de cap pour tenter, pourquoi pas, de remonter jusqu’aux terres des maîtres de l’Air.

Leliel, l’Absol taciturne, ouvrit la marche, au cas où il y aurait un danger à l’horizon. Mais il se figea lorsqu’un crissement se fit entendre un peu plus loin, et il se tendit, prêt à frapper en cas d’agression. Il désigna d’un signe de tête rapide un taillis dense qui leur offrirait une bonne cachette, pour observer sans être vus, et Luciano, de mauvaise grâce, mais comprenant la méfiance de son Pokémon, s’accroupit à côté de lui.

La scène était plutôt cocasse... Une créature inconnue du maudit se tapait la cloche en mangeant des épées qui appartenaient manifestement à une fille allongée contre un corail géant, et qui venait d’engager une lutte âpre contre la bête. Leliel tressaillit quand elle hurla de douleur et jeta un coup d’œil rapide au Pokémon à la mâchoire d’acier qui s’enfuyait devant l’attitude menaçante du Chacripan – sans doute le partenaire de la fille. La vache, avec des dents pareilles, l’humaine avait dû déguster, quand même...

Les intérêts du maître, en revanche, n’étaient absolument pas dans la contemplation de l’agresseur de la jeune femme, mais bel et bien dans la fille elle-même. De là où il était, il pouvait voir qu’elle avait à peu près son âge, et qu’elle était, ma foi, plutôt pas mal. Mais quelque chose vint chatouiller les narines de Luciano, qui s’écria sans même y faire attention :

« Par Zekrom, quelle puanteur ! »

Réalisant ensuite qu’il venait de révéler sa présence avec ce juron, le jeune noble se releva, épousseta sa tenue pour la rendre de nouveau impeccable, puis avisa le félin non loin de là.

« Oh, ne t’en fais pas. J’avais dans l’idée de jouer un peu avec ta maîtresse, mais j’avoue qu’une telle négligence me dépasse. C’est repoussant. Comment peut-on rester sale à ce point ? »

L’Absol, aussi écœuré que son maître, sinon plus, puisqu’il disposait d’un meilleur odorat que lui, se détourna également de cette gueuse pour reporter son attention sur la chatte. Mais quelque chose vint de nouveau déranger ses sens, et il signala d’un bref grognement la créature bleue qui s’était approchée en douce de l’inconnue. Flottant dans les airs et curieuse, elle ressemblait à une... Méduse fantomatique, spectrale et silencieuse, et elle glissait sans un bruit pour observer la jeune femme sous toutes les coutures. Luciano ricana franchement, avant de lâcher :

« Tiens tiens... Cette chose ne doit pas avoir de nez pour oser s’approcher d’elle sans avoir de nausées. Dis, ta maîtresse, ça fait combien de temps qu’elle ne s’est pas lavée ? Parce que là, pour en arriver à ce niveau, ça doit faire un bon moment... Mais je crois que ça va bientôt changer, si elle ne bouge pas très vite. Hin hin, regarde-moi ça. »

Leliel avait remarqué que l’eau n’allait pas tarder à monter et, suivant son maître, il grimpa sur un énorme rocher, suffisamment haut pour mettre hors de portée ceux qui s’y juchaient. Perché sur son promontoire de choix, bras et jambes croisés dans une attitude méprisante et nonchalante, le maudit regarda avec délice le liquide s’avancer de plus en plus, menaçant sérieusement d’engloutir la pauvre débile puante qui roupillait en bas. Heureusement qu’il ne savait pas – encore – qu’elle appartenait, tout comme lui, à la noble et puissante famille di Neralitha...

[Victoria di Neralitha]

Elle était allongée sur le sable, contemplant le ciel d’un bleu azur dégagé, qui s’étendait au-dessus de sa tête. Dans ce désert, pas une seule goutte d’eau à des kilomètres à la ronde. Elle se sentait… bien. En sécurité. Ici, ce maudit élément ne risquait pas de la détruire.

Elle suivait attentivement la course des rares nuages qui erraient çà et là. Le premier ressemblait… A un arbre… Ou à une pomme, elle ne savait pas trop. Le suivant… Ma foi, on aurait dit le portrait craché de Song ! Song le nuage ! Elle était pas mal, celle-là ! Et ele éclata de rire dans l’étendue de sable… Et le troisième… Non !

La terreur s’empara d’elle. Le troisième possédait vaguement une forme humaine… Et plusil s’approchait d’elle, plus il devenait sombre et net : pas d’erreur possible, ce nuage avait l’apparence de… Nox ! Non… Non, elle ne pouvait pas… C’était impossible ! Elle ne pouvait pas l’avoir retrouvée ! Paralysée par la peur, Silver ne pouvait rien faire… Et soudain, l’énorme masse noire commença à renverser ses trombes d’eau, transformant en gigantesque mer, qui curieusement, avait une forme sphérique et globuleuse. La jeune fille se réveilla en sursaut et hurla. Ce cauchemar était vraiment horrible. Mais la réalité était encore pire : il ne pleuvait pas, non. En revanche, l’eau semblait… sourdre du sol, plus particulièrement de certaines cavités qu’elle avait prise pour de simples flaques, et qui maintenant ressemblaient à des marres qui ne cessaient de s’élargir. Et comme si ça ne suffisait pas, un Viskuse se trouvait juste au-dessus-d ’elle, ses membres gorgés de cette eau maudite à quelques centimètres seulement de sa peau. Et il était en train de… de… Instinctivement, Silver chercha à récupérer ses épées, dont elle distinguait les gardes, malgré le brouillard humide qui commençait à envahir son esprit.

Hélas, son état de fatigue lui avait fait oublier que les lames de ses armes avaient été dévorées par la petite gloutonne de métal… Et Song n’était nulle part en vue pour lui venir en aide…Raaaaah, elle s’était faite avoir comme un bleu ! En tournant la tête au maximum, elle distingua sa chatte, qui se trouvait à proximité d’une personne que Silver ne reconnut pas. Avec la distance et son état d’épuisement, dû au drainage que le spectre lui faisait subir, elle était incapable d’affirmer s’il s’agissait d’un homme ou d’une femme…

Alors c’était ainsi qu’elle devait mourir ? Vidée de ses forces par une créature d’eau, tandis que le liquide environnant menaçait de l’envahir ? Elle aurait pu attraper une de ses deux lames encore intacte dans son manteau, mais elle savait qu’il lui serait complètement impossible de taillader le spectre, qui était protégé par son immatérialité. Et rien dans son environnement immédiat ne pouvait lui servir d’arme ! A part peut-être… Oui, ça pouvait être rigolo ! Et dans un faible éclat de rire, elle se saisit de son chapeau !

Décidément, Song n’était jamais là quand on avait besoin d’elle ! Mais heureusement, il y avait un moyen de l’appeler. Et avec ses dernières forces, elle arma son tir, et lança son chapeau tel un frisbee en plein sur le spectre. Bien évidemment, son arme improvisée lui passa à travers le corps sans rien lui faire. Néanmoins, cet acte complètement incongru, pour ne pas dire stupide, eut le mérite de détourner quelques secondes l’attention de la méduse, surprise, ce qui la força à interrompre son sinistre rituel… Qui reprit aussitôt dès ces quelques secondes d’étonnement passées.
Mais alors que Silver se sentit glisser une nouvelle fois dans l’inconscience, la douleur sourde cessa à nouveau, pour de bon, cette fois. Même si elle n’avait pas réussi à l’envoyer jusqu’à Song, l’affreuse odeur de son couvre-chef avait réussi à attirer l’attention de la chatte, qui venait de lancer en toute hâte une Poursuite sournoise sur son assaillant, qui fila en hurlant de colère.

« Pas trop tôt, râla Silver d’une voix plutôt faible, en souriant. T’en as mis du temps ! » Elle réussit tant bien que mal à se lever, malgré son état de faiblesse avancé. « Et vous, je pensais que le job d’un noble monsieur dans votre genre c’était de sauver les demoiselles en détresse, pas de les regarder mourir ! »

D’ordinaire, elle aurait enchaîné cette déclaration fort peu courtoise par au moins une ou deux blagues d’un goût douteux, mais elle était actuellement trop affaiblie pour cela. Tandis qu’elle se rapprochait tant bien que mal de l’homme, pour voir à qui elle avait à faire exactement, sa malédiction se mit en marche et elle vit… Un femme… Plutôt belle… Encore assez jeune… qui était… pendue ? Un suicide ? Silver se mit à réfléchir à toute vitesse, du moins aussi vite que son esprit embrumé le lui permettait. Elle avait parfois cherché à venger un de ses clients dont un des proches avait été poussé au suicide par des gens la plupart du temps peu scrupuleux et recommandables. Et lorsqu’elle croisait le regard des futurs cadavres, elle voyait effectivement leur victime en train de mettre fin à ses jours… Donc cette femme s’était pendue par la faut de ce jeune homme ? Auquel cas, elle devrait… trancher la question ! Elle n’éclata pas de rire, mais le cœur y était. Cependant, il existait une autre possibilité, raison pour laquelle Silver n’aimait pas trop traiter les cas de suicide, d’ailleurs : si la personne se suicidait pour des raisons purement égoïstes, c’est-à-dire non seulement pour échapper à la souffrance, mais en sachant pertinemment qu’elle ferait souffrir sa famille en agissant ainsi, alors le suicide était apparemment considéré par son don comme un « auto-meurtre », et le suicidé, comme un meurtrier, dont la mort avait affecté ses proches. Silver n’avait assisté qu’une seule fois à un cas semblable, mais c’était assez pour savoir qu’il pouvait exister, et donc, que le sort du jeune gentleman n’était pas encore fixé.

Pour le savoir, il y avait un moyen très simple : il suffisait à Silver de déterminer avec lequel de ses yeux elle avait eu la vision. SI c’était le gauche, alors ce nobliau avait poussé la femme à se suicider, et elle le traiterait comme n’importe quel meurtrier. Si c’était le droit, alors il avait simplement été affecté par cette disparition égoïste. Silver espérait vraiment que ce soit le gauche. Elle devait absolument refaire son stock d’épées. Mais d’un autre côté, elle n’était pas au mieux de sa forme, et l’Absol ne serait pas une mince affaire, même si le gamin semblait plutôt fragile… Droite ou gauche ? Gauche ou droite ? Les couleurs se mélangeaient et sa vue se troublait… Elle ne se rappelait pas… Soudain, la vision revint dans son esprit. Cette fois-ci, elle avait eu le temps de noter l‘œil qui l’avait déclenchée. C’était le droit. Mais un autre élément attira son attention. La femme pendue portait à son doigt une sorte de chevalière. Et le blason représenté sur cette dernière, Silver le connaissait très bien. Sa mère le lui avait montré quelques jours auparavant…
Mais elle n’avait pas le temps de s’appesantir davantage là-dessus car un son particulièrement lugubre se fit entendre : le Viskuze était de retour et il n’était visiblement pas content d’avoir été privé de son repas puisqu’il était revenu avec du renfort, puisqu’il y avait maintenant deux méduses, une rose et une bleue. Bon, procédons par ordre. D’abord se débarrasser de ces saletés aquatiqueq. Pour le jeune homme, on verrait après. Elle-même n’était pas vraiment d’attaque, mais Song sortait déjà ses griffes en prévision de la bataille à venir. Et puis, elle voulait aussi vérifier quelque chose…

« Ca vous dirait de me donner un petit coup de main ? demanda-t-elle à l’homme. Chacun le sien histoire qu’on s’amuse tous les deux ? Je prends le rose avec Song, faites ce que vous voulez avec l’autre ! Au fait, je me suis pas présentée ! Je suis assassin à louer et je m’appelle Silver. Silver di Neralitha, pour vous servir ! »

[Luciano di Neralitha]

Sans sourciller, Luciano observa la jeune fille se débattre dans son sommeil, probablement en proie à un cauchemar des plus horribles. Le noble comprit que le spectre n’était sans doute pas étranger à son malaise, mais il ne fit rien pour la secourir, tout simplement parce qu’une telle puanteur ambulante ne le méritait pas ! D’habitude, il était plutôt réactif, parce qu’il avait des arrière-pensées (s’offrir sa « protégée », en gros), mais là, rien ne lui donnait envie de porter secours à cette fille qui sentait si mauvais que même son propre Pokémon la fuyait...

Sans comprendre, le maudit vit le chapeau de l’étrangère fuser vers le félidé et, par mesure de précaution, se décala légèrement. Comment dire... Il ne connaissait cette fille ni d’Arceus ni de Zekrom, et ignorait donc ses talents en matière de tir. Or, il voulait à tout prix éviter que quoi que ce soit ayant été en contact avec « ça » n’effleure sa peau délicate ou ses vêtements coûteux. Fort heureusement, le couvre-chef n’atteignit personne, mais il eut le mérite d’attirer l’attention du Chacripan, qui se hâta d’aider sa maîtresse à l’aide d’une attaque Poursuite. Quand la gueuse lui gueula dessus pour lui reprocher son manque d’altruisme et de galanterie, Luciano, surpris et outré, leva un sourcil en affichant un air mauvais.

« Non mais ça va pas bien vous ! Et puis quoi encore ?! Vous m’avez pris pour le preux Keldéo ou quoi ? Je ne suis pas là pour voler au secours de la veuve et de l’orphelin, hein ! Les demoiselles, en temps normal, je les déflore. Si elles ne m’amusent pas, elles n’ont absolument aucun intérêt pour moi, et laissez-moi vous dire que ce n’est pas en ressemblant à un Miasmax ambulant que vous ferez changer mon comportement à votre égard ! Non mais, je vous jure... Elle s’est crue où, cette clocharde... »

Au moins aussi méprisant que son maître, l’Absol toisa la jeune fille, prenant garde à ce qu’elle ne vienne pas le souiller avec ses vêtements sales et malodorants. Il se tendit lorsqu’elle commença à se rapprocher d’eux, méfiant, alors que Luciano, lui, était plutôt intrigué par ce qu’elle semblait faire. Comme si... Elle le sondait. Et c’était très désagréable, comme sensation. Il avait l’impression d’être jugé, d’être devant un tribunal des mœurs. Quoi, c’était parce qu’il était très bien habillé et qu’il détonait par rapport à son allure à elle ? Parce qu’il avait juré par Zekrom, l’Hérétique ? Ou bien encore parce son œil droit était dissimulé derrière un cache ?

Elle n’eut pas le loisir de pousser plus loin son exploration de l’âme – ou plutôt des souvenirs – du jeune homme, car le spectre revint à la charge, accompagné de ce qui semblait être son homologue féminin, puisque son partenaire était d’un rose à faire pâlir le plus fier des Munna. L’étrangère s’adressa alors de nouveau à lui pour lui demander de l’aide, ce que le maudit avait prévu de refuser tout net de faire, jusqu’à ce qu’elle se présente complètement à lui. Silver... Di Neralitha ? Elle était sérieuse là ?

Le jeune noble échangea un regard avec son Absol, avant de plaquer sa main contre son visage pour montrer son désarroi. Il ne pouvait pas le croire. Cette gueuse portait le nom de sa propre famille, et le salissait, dans tous les sens du terme ! La révélation eut pour double effet de faire disparaître tout l’intérêt sexuel qu’il aurait pu lui porter et de le mettre dans une colère noire. Hormis son frère et son père, elle était la première maudite qu’il rencontrait, et encore... Tous les di Neralitha n’avaient pas la « chance » d’être un objet de haine pour Reshiram, le mal frappant souvent au hasard dans les différentes branches de la lignée. Et il avait fallu qu’il tombe sur un énergumène pareil...

« Je vais m’en occuper, mais ce n’est pas pour vous. C’est parce que ce Pokémon est moche, et parce que j’ai envie de lui mettre une raclée. Voilà tout. »

Bien évidemment, il ne lui avouerait jamais que c’était aussi parce qu’ils étaient tous les deux des descendants de la pierre noire. Tout comme son père, Luciano avait hérité d’un instinct de « conservation des gènes » qui le poussait à agir en faveur des membres de cette famille frappée par la malédiction. Et à vrai dire, il ne savait pas bien lui-même pourquoi il faisait ça. Il suivait son intuition, voilà tout.

Luciano claqua des doigts, et Leliel lança une Provoc pour attirer l’attention de la méduse bleue sur lui. La réplique ne se fit pas attendre, puisqu’elle balança une Écume sur son agresseur, qui l’évita d’un bond sur le côté. Cependant, alors que le maudit pensait simplement donner une leçon à la créature, quelque chose dans l’attitude du Pokémon aquatique le fit changer d’avis, et pas dans le bon sens : en effet, le Viskuse eut la brillante idée de jouer un sale tour au noble en se matérialisant tout près de lui pour lui voler son cache-œil, exposant ainsi l’iris maudit de Luciano à la vue de tous. Un symbole en forme de pentacle était comme imprimé dans sa pupille (qui avait, contrairement à l’œil sain, des teintes violettes), symbole qui était la marque du courroux de Reshiram, et responsable de tous les maux de l’aîné de la branche d’Abyan.

Leliel sut aussitôt que le Viskuse ne s’en tirerait pas avec de simples blessures. Fou de rage, Luciano plaqua sa main sur son œil pour limiter les effets de sa malédiction – et surtout pour éviter de croiser le regard de Silver – en hurlant :

« Espèce de sale fouine !! Je te hais ! RENDS-MOI CE TRUC, TOUT DE SUITE ! Leliel, Poursuite ! »

L’Absol s’exécuta, se retrouvant rapidement près de sa cible pour la frapper rapidement avec ses talents obscurs. Alors que son maître lui ordonnait de répéter son attaque, le Pokémon Désastre recommençait, encore et encore, rapide et sans pitié, empêchant toute fuite de la méduse qui déchantait, consciente de son erreur, qu’elle regrettait déjà amèrement. Le spectre se fit littéralement rouer de coups, de nombreuses coupures occasionnées par la corne de son bourreau s’ouvrant sur son corps pourtant immatériel. Le combat fut totalement inégal, en partie à cause de la loyauté de Leliel envers Luciano : tous ceux qui osaient blesser son sauveur devaient être punis !

« On fait moins le malin, hein ! Tiens, dans ta gueule ! »

Joignant le geste à la parole, le maudit balança une sphère sur sa victime, qui fut engloutie dans le rayon lumineux sans offrir de résistance. Elle lâcha également le morceau de tissu qu’elle avait osé prendre au maudit, et le Pokémon Désastre le récupéra entre ses crocs, avant de rejoindre l’Abyanais en quelques sauts, pour le lui rendre. Tandis qu’il rattachait son cache derrière sa tête, soudain plus calme (il fallait dire qu’il s’était déchaîné contre la pauvre bête...), Luciano ajouta, toujours aussi désagréable :

« Comme tu l’as sans doute constaté, je suis également un di Neralitha. Je m’appelle Luciano, et je viens de la capitale de l’Eau. »

[Victoria di Neralitha]

Bon, il était loin d’être ravi, mais il avait accepté de l’aider, c’était le principal. Elle allait pouvoir se concentrer sur la gélatine rose, qui semblait passablement en colère.

« Bon, on va commencer doucement. Song, lance Jet de Sable ! »

Et la chatte, d’un geste vif, envoya une poignée de terre dans les yeux de son adversaire, qui esquiva à la dernière seconde, avant de répliquer en projetant autour d’elle une aura verdâtre qui semblait faire du mal à la chatte. Un Vol-Vie, hein ? Mais cette attaque avait un gros défaut. Car celui qui la lançait restait vulnérable : tant que l’attaque n’était pas terminée, il ne pouvait pas bouger !

-Song recommence !
Cette fois-ci, l’attaque fit mouche et la méduse, désorientée, cessa d’attaquer.
-Poursuite, maintenant !

Après tout, la stratégie de Luciano, qu’elle observait du coin de l’œil pour voir comment il se débrouillait, était basique, mais efficace alors autant la reproduire ! Le spectre aquatique essaya bien de stopper la progression de la Chacripan, qui fonçait sur elle, auréolée d’une énergie noire, par une attaque Bulle d’O, mais aveuglée par le sable qui s’était collé à ses yeux, elle rata sa cible et Song put la frapper sans problème, et elle réitéra son attaque encore et encore.

-Continue, Song, t’y es presque… Mais… Mais qu’est-ce que tu fiches ?!!!!!!! »

Bizarrement, la chatte, au lieu d’achever son adversaire, recommençait à lui jetter du sable dans les yeux, pour la troubler encore plus. Puis la félidée fit volte-face et revint vers sa dresseuse. N’y tenant plus, la méduse rose lance une Danse-Pluie pour se nettoyer le visage, et elle enchaîna avec un puissant Vibraqua droit sur la chatte, Vibraqua qui était renforcé par le mauvais temps.
Nullement handicapée par la pluie, Song esquiva l’attaque au dernier moment… ce qui ne fut pas le cas de Silver, qui, déjà tremblante à cause de l’eau qui tombait du ciel, poussa un hurlement lorsque la boule aqueuse l’atteignit en plein visage, tout en faisant un bond de côté de trois bons mètres.

Bien, son plan se déroulait comme prévu. Mais elle allait devoir agir vite… et viser juste ! Song envoya une nouvelle volée de terre dans les yeux de la créature gélatineuse, puis elle fonça sur sa dresseuse, qui était maintenant juste à côté du bassin d’eau, qui avait bien grossi en quelques minutes seulement. Sans hésiter, Song lança ne attaque Poursuite… En plein sur sa dresseuse, qui tomba à l’eau, plutôt chaude au demeurant, avec un magnifique « Splaoush ».

Aussitôt, la jeune fille battit désespérément des pieds et des mains en hurlant. Ouais, sa peur de l’eau ne s’était décidément pas arrangée avec le temps. Mais Song n’avait que faire de ses jérémiades. D’une part parce que Silver savait nager, d’autre part parce qu’elle avait pied, aussi se concentra-t-elle de nouveau sur le combat en cours.

Pendant qu’elle envoyait sa dresseuse à la douche, la Viskuse avait eu le temps de se débarrasser des grains de terre qui gênaient sa vision. L’affrontement allait donc pouvoir reprendre là où elles l’avaient laissé… La méduse lança à nouveau une Bulle d’O bien plus puissante que la première, car renforcée par la pluie. Song réussit à esquiver la plupart des bulles mais pas toutes et celles qui la touchèrent lui firent l’effet d’impact de gros grêlons qui lacéraient son pelage et l’empêchaient d’avancer ! Elle devait absolument y mettre un terme !

Aussi, elle se concentra et invoqua une aura obscure qui fusa sur le fantôme aquatique. Le fantôme, occupé à cracher ses bulles, ne prit pas la peine d’esquiver. Mais alors que l’ombre noire le touchait, l’attaque cessa aussitôt, à la grande surprise du mollusque. La Tourmente avait fait son œuvre. Song profita de l’inattention de son adversaire pour frapper. Le spectre fut tiré de son hébétude par l’impact et se prépara à lancer un Vibraqua. Mais encore une fois, une Tourmente l’atteignit avant qu’il n’ait finalisé son attaque, qui cessa aussitôt. Comme la Visquse avait déjà lancé un Vibraqua sur Silver, elle ne pouvait plus réutiliser cette attaque. Une nouvelle fois, Song profita de la confusion pour lancer une nouvelle Poursuite. Comprenant que ses coups aqueux ne marcheraient pas, la méduse opta alors pour un Vent Mauvais. Mais l’attaque Spectre fut à peine ressentie par la chatte sombre, qui acheva son adversaire avec une dernière Poursuite. Affaiblie, la créature rose préféra filer avant que son adversaire de l’achève, tandis que son comparse bleu recevait en pleine poire la PokéBall de Luciano.

Cette affaire terminée, Song reporta son attention sur sa dresseuse, qi battait toujours des bras inutilement. Elle était tout simplement pathétique. O aurait dit un Magicarpe échoué. Sauf qu’elle était dans l’eau. Et pour une fois qu’elle y était, Song allait lui faire prendre un bain digne de ce nom ! Aussi, elle sauta à sa suite. Silver était tellement paniquée qu’elle ne remarqua même pas que sa chatte l’avait rejointe. Mais cette dernère bien loin de l’aider à sortir, coupa avec ses griffes la corde qui maintenait le manteau de sa dresseuse fermé. Ce dernier tomba au fond. Et une couche de crasse en moins !

Silver était maintenant en chemise et pantalon, tout aussi sales que le manteau, mais Song comptait bien leur régler leur compte à eux aussi ! Et contrairement au manteau, ces vêtements n’étaient pas indispensables aux yeux de Silver, aussi elle allait en profiter pour s’en débarrasser définitivement ! Et elle lacéra les deux habits de ses griffes qui tombèrent en morceaux au fond du lagon. Toutefois, un des bouts de tissu vola au loin pendant la manœuvre et alla atterrir aux pieds du jeune noble. Mais la chatte savait pertinemment que cela ne suffirait pas à nettoyer sa dresseuse de toute la crasse qu’elle avait accumulée ses derniers mois. Aussi s’empara-t-elle d’un végétal particulièrement feuillu qui poussait par là et commença-t-elle à gratter vigoureusement le dos de sa dresseuse pour la nettoyer.

« Song ! SONG ! MAIS QU’EST-CE QUE TU FOUS BORDEL ! … »

Et elle hurla. Mais la chatte ne voulait rien savoir. Silver ne sortirait pas avant d’être parfaitement propre ! De toute manière, elle était bien trop occupée à gesticuler n’importe comment pour l’empêcher de la nettoyer. Et si l’homme au beau costume était bien un élémental de l’eau, comme il l’avait prétendu, elle aurait bien aimé qu’il lui donne un petit coup de main. Dans leur situation, un petit jet sous pression ne pouvait pas faire de mal. Restait à lui trouver de nouveaux vêtements… Mais chaque chose en son temps. On verrait ça quand Silver serait propre, songeait la chatte tout en frottant, sous les cris de terreur de sa dresseuse.

[Luciano di Neralitha]

Tandis que le duo féminin affrontait son propre adversaire avec quelques difficultés apparentes, Luciano et Leliel, eux, mettaient une véritable rouste à la méduse bleue. Entre deux hurlements de la jeune fille, le maudit mit fin au combat, de son côté, avant de se tourner vers sa parente, visiblement terrifiée par l’eau qui lui était tombée dessus. Tenant dans une main la sphère de sa nouvelle recrue, tandis que l’autre était posée délicatement sur la corne de son Absol, l’Abyanais resta stupéfait devant la scène qu’il avait devant les yeux.

La dénommée Silver se débattait dans l’eau, dans laquelle elle avait pourtant pied, en poussant des cris de terreur pure, comme si elle était dans un bassin de magma ou d’acide. Bon sang, ce n’était qu’un peu de flotte, pas de quoi hurler à la mort comme ça ! Mais sa surprise s’intensifia encore lorsqu’il aperçut la chatte se jeter à l’eau à son tour, avant de couper la cordelette qui maintenait le manteau de sa maîtresse fermé. Cependant, ce geste à la fois particulier et tout à fait révélateur fit réfléchir le maudit, qui comprit vite où la Chacripan voulait en venir. Sitôt son dessein saisi, Luciano esquissa un sourire carnassier.

« Hin hin... Je vois. Elle a de la suite dans les idées, la chatte des rues... »

Quand le morceau de tissu sale et déchiqueté vola pour atterrir aux pieds du noble, le maudit toussa, écœuré par l’odeur. Avec une expression sadique et dominatrice, le jeune homme écrasa le lambeau sous son talon sophistiqué, puis posa son œil océan sur sa prochaine victime.

« On dirait que la gueuse qui ose porter mon nom a besoin d’un petit nettoyage... Et que la bestiole n’y arrivera pas seule. Allez, Sachiel ! »

Luciano libéra son nouveau Pokémon, qui se tourna vers lui, perplexe. Déjà, c’était quoi ce surnom chelou ? D’où ça sortait ? Et puis, pourquoi il lui obéirait, à ce taré qui se rendait volontairement borgne ? Le regard noir de son bourreau à la fourrure blanche le dissuada néanmoins de tenter de désobéir ou, pire encore, de s’échapper. Bof, après tout, s’il voulait vampiriser une ou deux personnes dans son dos, il pouvait bien le suivre : l’humain avait l’air d’être riche et habitué à la ville... Oui, la ville, où plein de délicieux bipèdes déambulaient sans crainte. Des repas sur pattes, naïfs et idiots... Alors, au final, s’il faisait ce qu’il lui demandait, il serait gagnant.

Soudain plus docile et avenant, le Viskuse se redressa, flottant dans les airs, prêt à fondre sur celle qui avait été sa première victime.

« Tourniquet ! »

En dépit de ses blessures, douloureux souvenirs de son affrontement avec l’Absol, le spectre s’éleva et se mit à tourner sur lui-même, générant dans le même temps des trombes d’eau qui se répandirent autour de lui en une pluie rafraîchissante et bienfaitrice. Un peu à l’écart, Leliel s’assit pour assister au spectacle sans se mouiller le moindre poil.

« Maintenant, attrape-la ! »

Sachiel s’exécuta et, avec malice, se glissa derrière Silver, avant de lui attraper les bras pour les lui maintenir en l’air. Ainsi immobilisée, elle était à la merci de son cousin...

« Et... C’est l’heure de décaper tout ça. »

Là, Luciano prenait clairement son pied à torturer la jeune fille. Tendant sa paume vers le ciel d’un air nonchalant, le maudit fit naître une sphère aqueuse au creux de sa main, avant de la modeler pour lui donner la forme de griffes acérées et resserrées. Puis, d’un geste du poignet, il envoya sa création droit sur le ventre de Silver, afin de la manipuler à distance. Les dents d’eau chaude commencèrent à lacérer le corps de la noble aux allures de gueuse pour en retirer toute la crasse, occasionnant des rougeurs sur sa peau, mais faisant surtout apparaître la véritable couleur de son épiderme recouvert de saleté et de sueur. Autour d’elle, l’eau se teinta de noir, alors que l’instrument de torture de Luciano remontait lentement vers les seins désormais nus de la folle qui avait laissé ces couches successives de crasse s’accumuler sur elle...

Le maudit changea la taille de ses griffes aqueuses et les rendit également plus souples : contrôlant désormais des tentacules dignes des fantasmes les plus pervers des hommes, l’héritier de la branche d’Abyan promena ses jouets entre les seins de Silver, histoire de bien nettoyer... Et de la punir au passage. Après tout, il savait qu’il ne la toucherait jamais, d’une part parce qu’elle était sans doute la pire crasseuse qu’il ait jamais connue, et d’autre part parce qu’elle appartenait aux di Neralitha, tout comme lui. « La famille, c’est sacré », comme Luciano aimait se le répéter, avec une bonne dose d’ironie, qui s’appliquait particulièrement bien à ce cas précis... Alors il pouvait bien s’amuser un peu avec sa « chère » cousine.

Cependant, seul Leliel avait remarqué que sous les pieds de Silver, un autre Pokémon s’était invité à la partie de « torture » : avec ses excroissances rocheuses et pointues, il prenait un malin plaisir à chatouiller les talons de la jeune fille et à promener son corps étrange sur les jambes de l’humaine, estimant sans doute qu’elle n’avait pas été suffisamment frottée dans ces zones-là. D’un air narquois, l’Absol regarda l’Opermine se mettre à l’œuvre, sa vue perçante lui permettant de distinguer des détails que les hommes ne distinguaient pas, alors qu’il se demandait quelle serait la réaction de cette fille, pour qui l’eau était, plus qu’une peur quelconque, une véritable phobie. Un bourreau de plus ou un sauveur potentiel ? Pour l’heure, rien n’était sûr, et l’Ange de neige et de ténèbres, familier avec la nuit, avait hâte de connaître le dénouement de cette scène à la fois pathétique et cocasse...

[Victoria di Neralitha]

Silver vivait un véritable supplice. Entourée d’eau, elle ne voyait aucun moyen de s’en sortir. Non seulement, elle était prisonnière de cet élément hostile et mortel, mais en plus, tous ceux qui l’entouraient tentaient de l’agresser avec le liquide maudit qu’elle détestait tant : le borgne avec ses jets d’eau, l’horrible méduse bleue et même Song qui n’avait rien de mieux à faire que de lui frotter le dos avec un roseau ! Elle ne perdait rien pour attendre… Si Silver arrivait à se libérer un jour !

Car tandis que ses gestes et ses cris faiblissaient, son esprit sombrait peu à peu dans une inconscience protectrice loin de toute cette folie. Peut-être… Peut-être que c’était ce qu’elle avait de mieux à faire… Se laisser partir, telle l’eau qui coule des ruisseaux pour rejoindre les rivières…
Mais alors qu’elle allait perdre connaissance, un événement imprévu la ramena à la réalité : tout à coup, elle eut une furieuse envie… d’éclater de rire ! Pour une fois, ce n’était pas à cause d’une pensée saugrenue qui lui avait traversé l’esprit, mais bel et bien parce que quelque chose était en train de lui chatouiller la plante des pieds. Vu sa position, elle ne pouvait pas distinguer qui s’amusait de la sorte, mis ce rire eut le mérite de replonger son esprit dans l’état permanent de folie douce auquel elle était habituée.

Silver, en bonne anticonformiste qu’elle était, marchait aussi souvent pied nue que chaussée, si bien qu’avec les années, une couche de corne fine mais très dure s’était formée sous ses pieds, au point que le picotement et les petits saignements induits par l’Opermine ne lui étaient pas si désagréables. Au contraire même, car cet interlude eut le mérite de lui faire regagner ses esprits pour quelques instants. Et un premier constat s’imposa : elle n’allait pas rester ici une seconde de plus !

Prenant appui sur le sol sableux-et sur le Pokémon qui était en train de la récurer, Silver sauta, se retourna et plongea intégralement dans l’eau, sur le dos. Song, qui était juste derrière elle, avait eu le temps d’anticiper sa manœuvre et de s’écarter, mais le Visquse, qui était accroché à elle n’eut pas cette chance, et il tomba au fond du lagon avec elle. Mais Silver devait faire vite. Car elle n’était pas sûre que la méduse était sonnée, et sous l’eau, la gélatine bleue disposait d’un avantage indéniable puisqu’elle était dans son élément… Contrairement à la jeune fille.

Aussi, poussant une nouvelle fois sur ses jambes, l’assassin effectua un long saut, à la manière d’un Amphinobi, pour sortir du lagon. Mais elle ne s’arrêta pas là car une fois sur terre, elle se reçut accroupie, prête à bondir de nouveau, et c’est effectivement ce qu’elle fit : d’une puissante détente de ses muscles postérieurs, elle se projeta sur le jeune noble s’arrêtant à un mètre de lui. Par réflexe, sa main était allée chercher une arme au niveau de sa taille, là où elle stockait habituellement ses épées… qu’elle n’avait plus !C’était bien dommage ! Elle aurait bien découpé un peu son tortionnaire, et l’Absol avec s’il avait tenté de s’interposer… Mais bon, elle ne pouvait tout simplement pas faute de moyen.

« Ne refais jamais ça, dit-elle d’une voix glaciale en employant sciemment le tutoiement. Sinon je te tue. »

Avisant Song, qui revenait sur la rive en tirant tant bien que mal le manteau de sa dresseuse, seul rescapé du massacre, avec le chapeau, qui était resté sur la terre ferme, elle lui lança :

« Toi non plus t’as pas intérêt à recommencer. La prochaine fois, tu fais ça dans une baignoire, et tu me préviens avant, d’accord ? »

Pas rancunière, Silver aida la chatte à hisser son manteau alourdi par l’eau sur la terre, puis elle le suspendit à une branche pour le faire sécher. Elle était donc parfaitement nue devant un inconnu, mais cela ne la gênait pas le moins du monde !

Puis, aussi rapidement qu’elle était apparue, sa colère s’évanoui. Après tout, aussi sadique qu’il fût, cet homme n’était pas un meurtrier, elle n’avait donc aucune raison de le tuer… Et en parlant de tuer… Qui était la femme qu’elle avait vu se pendre dans sa vision ? L’épouse du jeune homme ? Mais la femme semblait un peu trop âgée et puis elle n’aurait u dire pourquoi mais Luciano ne lui semblait pas être le genre d’homme à s’attacher à une femme. La pendue était bien trop âgée pour être sa sœur… Sa mère alors ? Oui, c’était le plus probable… Continuant à s’interroger sur la personnalité du jeune homme, elle se rendit compte qu’il ne lui avait rien révélé sur sa malédiction. Et elle non plus, d’ailleurs. Mais elle était prête à parier que cela avait quelque chose à voir avec cet œil tacheté caché par le bandeau qu’elle avait aperçu tout à l’heure. Peut-être était-il temps de faire plus ample connaissance, qui sait ?
Mais alors qu’elle allait se présenter plus longuement, deux voix masculines retentirent non loin d’eux :

« Mais si, moi j’te dis qu’on a bien fait de le buter ! Rien que pour sa carte au trésor, ça valait le coup !
-Si tu le dis… D’ailleurs, il est censé être enterré par-là, le fameux trésor, non ?
-Ouais, et… Bordel mais c’est qui ceux-là ? »

Emergeant des fourrés proches, deux hommes ressemblant à des explorateurs venaient de faire leur apparition… Sauf que Silver avait parfaitement entendu : ils parlaient de meurtre ! Des meurtriers ! Cool ! Enfin un peu d’action ! Bien sûr, elle était nue et sans armes et les hommes ne semblaient pas avoir d’autres armes qu’un bête couteau à leur ceinture mais bon…
Sa malédiction lui montra clairement ces deux lascars en train d’assassiner un vieil homme qui vivait dans ce qui ressemblait à une cabane dans la forêt.

Toute souriante, Silver s’approcha d’eux. Elle allait pouvoir se défouler un peu. Aucun des deux hommes n’avait la carrure d’un guerrier d’élite, aussi n’aurait-elle pas trop de mal pour s’en débarrasser. Souriante, elle s’approcha du plus proche des deux hommes, et alors que ce dernier allait lui poser une question, elle lui balança son pied en plein dans les parties génitales. Heureusement, la plupart du temps, ses adversaires ne portaient pas d’armure à cet endroit-là !
Alors que l’autre homme réagissait en prenant son arme, elle esquiva son coup maladroit en se laissant tomber a sol, tout en saisissant au passage l’arme de celui qu’elle avait estourbi. Au moins ce couteau était plus facile à dégainer-donc à chiper- qu’une épée. Désormais en position accroupie, l’arme de son assaillant encore valide passa à trente bon centimètres au-dessus de sa tête.

Elle profita de sa postion pour lui enfoncer le couteau qu’elle venait de subtiliser dans sa cuisse gauche, prenant bien soin de sectionner le nerf au passage pour occasionner un maximum de douleur. Le résultat fut immédiat : le deuxième homme s’effondra au sol en hurlant.
Derrière elle, Silver sentit l’homme qu’elle avait frappé à l’entrejambe reprendre ses esprits. Elle devait faire vite. Plus le temps de jouer ! Et tout en se redressant, elle flanqua un bon coup de coude dans le nez du premier bandit, qui éclata sous l’impact. L’homme recula en hurlant. Visiblement, il avait perdu toute volonté de combattre…

Silver eut donc tout le temps nécessaire pour ramasser l’arme de l’homme qui avait un couteau figé dans la jambe, qui était tombée lorsqu’elle l’avait frappé. Puis, elle acheva les deux hommes à moitié assommés par la douleur en leur enfonçant sa nouvelle lame dans le cœur avec un geste expert.

« Je m’apprêtais donc à dire, avant d’être grossièrement interrompue, dit-elle en se tournant vers Luciano et en lui souriant comme si de rien n’était, que mes yeux me permettent de voir les meurtres commis par une personne, ou les meurtres qui ont affectés ceux dont je croise le regard. Et toi, c’est quoi ta malédiction ? »

Ais malheureusement, ce qui était parti pour être une banale discussion amicale fut bien vite interrompu de nouveaux par d’autres bruits. Quelque chose d’autre arrivait sur eux.

« Quoi encore ! » grogna Silver, presque lassée.

[Luciano di Neralitha]

Absorbé qu’il était par sa tâche de nettoyage intégral et intensif de Silver, Luciano ne vit pas, dans un premier temps, le Pokémon qui chatouillait la maudite. Il ne comprit donc pas son hilarité, qui le laissa un instant perplexe. Puis, il haussa les épaules : après tout, cette fille avait un grain, et pas un petit, alors qu’elle rigole pour ce qu’il pensait être rien, ça ne l’étonnait finalement pas plus que ça... Mais lorsqu’il vit Leliel lui désigner quelque chose dans l’eau, d’un signe de tête, il plissa son œil et aperçut une drôle de forme aux contours pointus et qui ressemblait vaguement à un épouvantail planté dans un caillou. Par Zekrom, que c’était moche. S’il n’avait déjà pas fait son marché des horreurs quotidien en attrapant le Viskuse, nul doute que l’Abyanais se serait laissé tenter par une créature aussi vilaine que l’Opermine qui grattouillait la plante des pieds de Silver...

Cette dernière sembla passer par tous les états : d’hystérique, elle devint amorphe, puis éclata de rire avant de retrouver un peu d’énergie. Un vrai caméléon lunatique à souhait... Mais quand la jeune fille bondit hors de l’eau, puis atterrit tout près de Luciano, l’Absol gronda et, d’un saut, s’interposa entre l’humaine et son maître, dans une posture qui annonçait clairement la couleur. Un pas de plus, et ce serait la guerre ! Fort heureusement pour l’ambiance déjà étrange qui régnait dans les lieux, Silver était non seulement désarmée suite au rapt du Mysdibule, mais elle était aussi et surtout nue comme un Insolourdo... Ce qui fit retomber toute la menace contenue dans le ton glacial qu’elle venait d’employer contre son parent comme un soufflé mal préparé. Se retenant à grand-peine d’exploser de rire, Luciano lança, goguenard :

« Écoute, si vraiment tu veux éviter de subir ceci de nouveau, tu ferais mieux de te laver régulièrement. Tu empestais tellement que j’ai pu sentir ta puanteur dès que je suis arrivé à l’entrée du Lagon ! Et le pire dans tout ça, c’est que tu portes MON nom, que tu oses salir de la sorte ! Vraiment, on croit rêver. Enfin bref... Leliel, c’est bon. Bouge. »

Docile, le Pokémon Désastre se décala de quelques pas, jugeant de son côté que Silver n’était pas une menace. Malgré tout, il n’aimait pas sa façon de détailler le visage du maudit. Comme si elle essayait de le sonder... De mauvaise humeur et sur la défensive, Luciano afficha un rictus mauvais.

« Bah quoi, tu veux m... »

Son interlocutrice ne sut jamais la fin de sa phrase, car ils furent interrompus par deux voix qui discutaient gaiement de leur dernier meurtre. Tandis que l’Abyanais haussait un sourcil, sa « cousine », elle, s’approcha des deux hommes, avec un grand sourire sur le visage. Sachiel, Leliel et Luciano échangèrent un regard, curieux de savoir ce qu’elle avait en tête.

« Qu’est-ce qu’elle va encore nous faire, cette gourgandine ? Et puis, elle a oublié qu’elle était légèrement à poil ou quoi ?! »

Mais l’agacement teinté de surprise se changea rapidement en vif intérêt lorsque Silver mit habilement les deux types hors d’état de nuire. Elle lui avait bien dit qu’elle était assassin à louer, non ? En y repensant, le maudit se dit qu’il était plutôt logique qu’elle sache se battre, surtout en étant payée pour tuer. Mais quand même... Elle semblait être plus douée que Servus, même si Luciano n’avait jamais eu l’occasion de le voir à l’œuvre dans ce domaine-là, sachant également que son esclave était en compétition mêlée de coopération avec l’Absol qui accompagnait le maudit depuis son enfance. En fait, il était même possible que Leliel ait déjà tué pour son maître... Mais ça, au fond, l’héritier des di Neralitha s’en moquait. Tant que cela ne gâchait en rien son propre plaisir, ma foi...

Quand elle se tourna de nouveau vers lui, Luciano réalisa que décidément, une fille qui portait le même nom que lui ne pouvait décemment pas se promener les seins et la pouloute à l’air. Avec un « tss » agacé, il fouilla dans ses affaires pour en sortir un vieux pull troué et un pantacourt aux couleurs passées. En insistant un peu, il trouva même une culotte large et destinée à être portée par les hommes (par Servus, plus exactement), et il balança finalement le tout aux pieds de Silver, avant de rétorquer :

« Avant toute chose, habille-toi. Je sais bien qu’on est dans un endroit paumé, mais si tu dois tuer tous ceux qui te voient dans cette tenue, ça va vite devenir compliqué, si tu veux. Et puis quand même... Tu es une noble. Tu en as le patronyme, du moins. Alors comporte-toi comme il se doit. »

Sachiel regarda son nouveau propriétaire d’un air intéressé. C’était quoi, une « noble » ? Il n’en avait fichtrement aucune idée... Il s’approcha donc de Leliel, avec qui il entama une discussion cordiale, alors que le maudit reprenait :

« Avec une telle malédiction, tu as sans doute vu la mort de ma mère. C’était plutôt glauque, d’ailleurs. »

Peu désireux d’en dire plus à ce sujet, Luciano s’arrêta. « Glauque » était un bien faible mot pour décrire ce qu’il avait vu cette nuit-là, et tout ce que cette femme avait pu lui faire vivre jusqu’à ce qu’elle prenne la meilleure décision de sa vie, selon son aîné. Il ne lui en voulait pas d’être partie aussi lâchement, non. Il n’avait jamais éprouvé quoi que ce soit d’autre que de la haine et de la terreur à son égard. Non, avec du recul, il s’était rendu compte qu’il lui reprochait bien plus, des choses mille fois plus complexes que de la simple rancœur, rancœur qu’il portait d’ailleurs en lui à cause de ce père absent et responsable, selon lui, de tous ses maux. Mais c’était chiant de repenser à tout ça, se dit-il, avant de se concentrer de nouveau sur la conversation qu’il tenait avec sa cousine.

« Cet œil maudit... Quand je croise le regard de quelqu’un, je peux entendre tout ce qu’il pense de plus malsain, sordide et immonde. Cela peut aller de la simple envie de se venger de quelqu’un en lui coupant les doigts un par un jusqu’au domaine de la pédophilie qu’on peut qualifier de « grave ». Je parle là de se taper des mômes d’un an ou deux, par exemple. C’est pour ça que j’ai ça sur mon œil, pour éviter d’avoir à supporter la vie dégueulasse de Monsieur Pédo, ou de Madame Scato, tu vois. C’est plutôt pénible, en réalité. Mais je trouverai un moyen de contourner ce léger problème... Et je ferai à ma façon. »

Mais alors qu’il s’apprêtait à reprendre, Silver râla contre un nouvel intrus, que Leliel avait déjà repéré. L’Absol, menaçant, avait le poil hérissé, prêt à frapper... Mais il ouvrit grand les yeux quand il vit que leur gêneur n’était qu’un singe bleu qui titubait, comme s’il venait de se mettre minable à grandes lampées de vin de table.

Cependant, sa réaction n’était rien à côté de celle de Luciano. Ce dernier, d’abord interloqué, partit ensuite dans un fou rire qui ne semblait pas vouloir le quitter.

« Oh mais... T’as... T’as vu sa gueule ! On dirait un vieux brocoli qui aurait passé trop de temps avec une moisissure ambulante... Oh, Ciel, pitié, cette tête ! C’est trop ! »

Le maudit, qui riait ostensiblement de leur nouvel invité, se tenait carrément les côtes, tandis que des larmes perlaient au coin de son œil visible. Mais si Leliel était habitué à ces crises d’hilarité incongrues, ce n’était pas le cas de Sachiel, qui fixa Luciano d’un air carrément stupéfait. Bien sûr, il côtoyait des Flotajou tous les jours, et ce n’était pas le plus sexy des Pokémon, mais... Cette pauvre bête ne méritait pas un tel spectacle... Si ?

[Victoria di Neralitha]

Les vêtements que lui tendit Luciano étaient tout simplement horribles mais la jeune fille ne s'en formalisa pas, et elle les enfila en silence. Ils lui allaient à peu près, bien qu'apparemment, leur précédent propriétaire était un peu plus petit qu'elle. Bah, ça la changerait de ses anciens vêtements trop grands... Et puis, il lui restait son manteau... Et son chapeau, peut-être a pièce la plus importante de sa garde-robe!

Mais comme l'avait justement fait remarquer le jeune noble, le chapeau dégageait effectivement une horrible odeur. Cette dernière ne dérangeait absolument pas Silver, mais si effectivement le jeune homme avait pu la sentir depuis l'entrée du lagon, alors elle nuisait bel et bien à sa discrétion... Autrement dit, son couvre-chef sale mettait à mal ses talents d'assassin! Et ça, elle ne pouvait le permettre.

Aussi, elle prit son chapeau et le lança dans l'eau, juste avant que le responsable des bruits qu'elle avait entendu fasse son apparition. Il s'agissait d'un singe aquatique, un Flotajou. Son arrivée provoqua chez l'autre maudit une crise de rire. Apparemment, il trouvait l'apparence du nouvel arrivant laide et grotesque.

Silver elle, était plus partagée: c'est vrai que le petit singe avait effectivement une bouille rigolote, mais Silver ne l'aurait pas qualifié pour autant de "moche". AU contraire, ça lui donnait un petit côté mignon. Par contre... Les Flotajou étaient réputés pour les puissants jets d'eau qu'ils pouvaient faire jaillir de leur queue et Silver estimait avoir bien trop fréquenté l'élément liquide pour aujourd'hui, aussi se méfiait-elle du nouveau venu. Peut-être n'attendait-il qu'un prétexte pour les arroser...

A cette pensée, Silver frissonna. Mais le singe ne semblait pas hostile. Indifférent aux moqueries de Luciano, il ne bougeait pas et ses yeux furetaient intensivement de droite à gauche, comme s'il cherchait quelque chose. Comme il ne semblait pas menaçant, l'assassin se désintéressa de lui et se rapprocha de sa chatte, qui observait avec intérêt le petit Pokémon, lorsqu'une pensée hilarante lui traversa l'esprit... Luciano se moquait d'un singe qui pouvait faire jaillir de puissants jets sous-pression de sa queue... Mais elle était quasi-certaine que lui pouvaient faire pareil. Monsieur le grand noble avait donc plus de points en commun avec le "vieux brocoli" qu'il ne le pensait!

Song, habituée à ses sauts d'humeur, ne releva pas. Mais elle savait que sa maîtresse allait lui demander quelque chose qui ne lui plairait pas forcément, aussi commença-t-elle a se frotter à elle pour se faire pardonner le petit tour qu'elle lui avait joué... et obtenir des caresses!

"Non, non, non, Song! Ca marchera pas cette fois! T'as voulu me balancer à la flotte? Alors t'assumes et tu vas récupérer mon chapeau. Et tu le laves aussi! Dépêche-toi ou je te jette dans le lagon!"

De mauvaise grâce, la chatte s'exécuta néanmoins et ramena le chapeau à sa dresseuse après l'avoir nettoyé.

Bien! Elle avait récupéré son chapeau... Son manteau serait bientôt sec... Elle avait de nouveaux vêtements... Des vêtements moches mais elle s'en fichait... Si elle avait eu ses épées, son bonheur aurait été complet. Malheureusement, ses deux dernières lames intactes avaient coulé au fond de l'eau pendant qu'elle se débattait... Mais il n'y avait pas d'épées ou d'armurier par ici... Juste elle, Song, un noble et son Pokémon... et deux cadavres. Deux cadavres... Un détail lui revint en mémoire! La carte au trésor! Avec un peu de chance, le trésor était la tombe d'un ancien seigneur de guerre... Qui avait conservé ses lames avec lui!

Revigorée par cette idée, elle s'approcha des cadavres et commença à les fouiller. Elle remarqua que le Flotajou l'épiait du coin de l'oeil... Lui aussi cherchait la carte? Non, c'était absurde! Elle fut déçue lorsqu'elle constata que les deux hommes ne transportaient effectivement aucune autre arme que leurs petits couteaux... qu'elle récupéra néanmoins, faute de mieux. Mais lorsqu'elle trouva enfin la fameuse carte, le singe, vif comme l'éclair, bondit sur elle et la lui arracha des mains, puis il se réfugia au sommet d'un arbre proche.

"Mais... Rends-moi ça, espèce de sale petit voleur!"

Mais le Pokémon aquatique l'ignora complètement et déplia le vieux papier. Il ne lisait pas la carte, quand même! Si? Elle aurait pu demander à Song d'aller la récupérer, mais le singe était manifestement bien plus agile que la chatte dans les arbres... Et puis, après le bain qu'elle l'avait forcée à prendre, Silver doutait que sa Pokémon accepte de lui rendre ce service. Et elle n'aurait sans doute pas plus de succès si elle essayait elle-même...

Elle aurait pu demander à Luciano ou à son Visquse d'attaquer le petit voleur de loin, mais cela risquait d'endommager la précieuse carte! Bref, pour l'instant, Silver ne pouvait rien faire, à part surveiller discrètement le singe, qui ne bougeait pas de son perchoir. Comme si de rien n'était, elle revint vers le maudit et lui parla, pour endormir la méfiance du Flotajou:

"Au fait, par rapport à ce que tu as dit... Je n'ai pas tué ces deux hommes parce qu'ils m'ont vu nue... Sinon tu ne serais plus de ce monde toi non plus. Non si je les ai tués, c'est parce que ces hommes sont des meurtriers, comme ils s'en sont si bien vantés devant nous. Mon oeil me l'a montré et mes yeux ne se trompent pas. Ils ne sont pas infaillibles, et il peut arriver qu'ils ne me révèlent pas tout au sujet d'une personne que j'observe. Mais lorsque j'ai une vision, je sais qu'elle est réelle, comme quand j'ai effectivement vu ta mère se pendre. Et oui, c'était glauque. Mais c'est ma vie, et mon métier. Je ne tue que les assassins et j'imagine que ma folie ne te laisse pas beaucoup de chose à contempler sur ma personne. A part mes avis de meurtres, pour être franche, je ne sais pas si mes autres pensées sont malsaines et pour tout te dire, je m'en fiche pas mal. Mais tu peux regarder, si le coeur t'en dit! Ajouta-t-elle en riant. Sinon, je pense que ton pouvoir est au moins aussi "glauque" que le mien..."

Silver interrompit sa phrase, car d'un seul coup, le Flotajou décida de rendre l'air, et il se mit à courir de branche en branche et d'arbre en arbre, s'éloignant d'eux très rapidement. L'assassin réagit au quart de tour:

"Song, passe par les arbres et suis-le! Le perds pas de vue, s'il te plaît! Je veux cette carte!"
Et tandis qu'elle se mettait à courir, elle regarda par dessus son épaule et s'adressa à Luciano:
"Et toi, tu fais quoi? Tu viens? Ou la forêt n'est pas un environnement assez "noble" pour toi?" Lui demanda-t-elle avant d'éclater de rire, ravie par sa propre blague.

[Luciano di Neralitha]

Non sans lâcher un soupir qui signifiait clairement quelque chose comme « c’est pas trop tôt », Luciano regarda d’un œil distrait le chapeau voltiger dans les airs pour atterrir dans l’eau. Sans doute avait-elle compris qu’avec une telle odeur, elle empestait à des lieues à la ronde, si bien qu’elle aurait pu porter une pancarte et hurler « j’arrive ! » que ça n’aurait pas eu autant d’effet... Et puisqu’elle lui avait dit qu’elle était assassin à louer, la discrétion n’était pas exactement une option ou un luxe dont elle pouvait se passer.

Quand il aperçut Song, prise en flagrant délit de tentative de séduction, le maudit fit un signe de tête à Leliel, avant de dire, narquois :

« Regarde-moi-la, cette chatte des rues, encore plus rusée qu’une putain qui cherche à avoir du rab après une passe. Que ça soit bien clair, Sachiel, ces conneries-là, ça prend pas avec moi. »

Le petit Viskuse hocha la tête, docile, même si au fond de lui, il pensait bien fort « cause toujours, tu m’intéresses, si j’ai envie de faire un cirque pareil pour vampiriser quelqu’un, c’est pas toi qui m’en empêcheras ». Bien sûr, fraîchement capturé, il ne connaissait pas le caractère de son maître... Il risquait d’avoir des surprises, par la suite, le gélatineux.

Las de toutes ces simagrées, Luciano finit par s’asseoir sur un rocher un peu en hauteur, le même sur lequel il s’était réfugié pour assister au spectacle de sa parente en pleine lutte avec l’élément qu’elle détestait le plus, et à son insu, de surcroît.

« Bon, sinon, t’as un truc de prévu ? Je commence à me faire chier ici, y’a rien à faire dans ce trou paumé. »

Cependant, le plan excitant et folichon qu’attendait Luciano ne vint pas de Silver, mais du fameux brocoli sur pattes, qui chipa la carte que la jeune femme venait de trouver sur ses victimes, avant de s’éloigner du groupe, comme pour narguer la maudite. Celle-ci revint faire la causette à son cousin, qui leva un sourcil, puis rétorqua :

« Je crois que tu me sous-estimes un peu, là. Je suis pas si facile que ça à découper, et j’ai de nombreuses armes à ma disposition... Enfin. Si tu te prends pour un justicier pas masqué du tout, vu la tenue dans laquelle tu te promenais tout à l’heure, c’est ton problème. Chacun prend son pied comme il le souhaite, après tout. Les goûts et les couleurs, comme on dit... Quant à ta folie, ce que j’en ai vu avec mon œil normal ne me donne pas plus envie que ça d’utiliser l’autre pour en découvrir plus. De plus, ce que je pense malsain peut te sembler tout à fait normal, comme tu le dis. Tout est une question de perception, et il est vrai que la douleur est plus forte lorsque celui que je regarde et moi sommes d’accord sur la nature de ces pensées-là, et sur le degré de gravité qu’on peut leur attribuer. Néanmoins, même si tu ne crois pas tes pensées malsaines, je préfère éviter d’en faire l’expérience. Je ne suis pas maso au point de vouloir risquer de souffrir inutilement, en réalité. Tu ne m’en voudras pas pour ça, j’espère, chère cousine ! »

Luciano se fendit d’un grand sourire, plein d’ironie et de cruauté mal dissimulée. Oh, en vérité, il s’en fichait pas mal qu’elle lui en veuille ou non. L’une des choses essentielles à ses yeux, c’était qu’elle fasse en sorte de ne pas traîner dans la boue ce nom si prestigieux, dont il était si fier, et qu’il ne se gênait pas d’afficher sur ses vêtements d’un bleu sombre et intense, comme les ténèbres qui l’habitaient depuis toujours.

La suite de ce plan si entraînant se matérialisa sous la forme d’une soudaine course poursuite à travers les bois. Enfin, seules Silver et son Pokémon avaient pris le rôle du chat courant après la souris, ou plutôt, après le singe car, à la question stupide de la maudite, Luciano répondit, presque choqué par la proposition :

« Non mais ça va pas la tête ? J’en ai rien à faire de ta carte, moi, et la forêt, noble ou pas, je compte pas y moisir trop longtemps, tu vois. Pas pour rien que j’ai voulu la survoler, hein. Et regarde où tu vas, débile ! »

Trop tard. Trop occupée à se marrer ostensiblement de sa vanne absolument pourrie, Silver ne vit pas le « petit » obstacle qui se dressait devant elle et s’emplâtra contre le tronc de l’arbre géant qui s’était malheureusement trouvé sur sa route. Ce fut à Luciano d’éclater de rire et de s’élancer dans la Canopée, prouvant par là qu’il était un être plein de contradictions, tout en lâchant :

« Et puis, j’ai un colis à récupérer ! J’avais complètement oublié Servus, mon serviteur. Si je le laisse tout seul là-dedans, il va se transformer en Gaulet : idiot comme il est, il va rester là-bas à m’attendre sans bouger ! Et ça vaut cher, cette marchandise ! Allez, salut ! »

Le signal étant donné, l’Absol et le Viskuse s’engagèrent à leur tour dans le bois humide, suivant leur maître de près. Mais alors qu’il arrivait au lieu de rendez-vous avec son esclave et qu’il pensait être définitivement débarrassé de cette folle, il fut rattrapé par la réalité, douloureuse et violente, sous la forme d’une attaque Dégommage lancée par le brocoli ambulant. Sous le choc, il heurta un arbre, puis glissa le long du tronc, assommé. Aussitôt, Leliel vengea son maître en zébrant le corps du Flotajou de nombreuses coupures, alors que Sachiel, plus subtil et plus vicieux, le vidait de son énergie avec un Vol-Vie. Le singe déguerpit, trouvant qu’il avait son compte, et qu’une malheureuse carte ne valait pas un tel passage à tabac.

« Hijo de puta. Tu me le paieras, sale brocoli... Tiens... »

Tout en massant sa tête endolorie, d’une main, le jeune homme saisit le parchemin, dont un des bords était trempé, mais néanmoins lisible. Il plissa son œil sain, puis souleva légèrement le cache qui dissimulait son iris maudit, pour être bien sûr de ce qu’il voyait. Là, à l’endroit où le mot « Linaewen » s’étalait sur la carte, un symbole que l’Abyanais connaissait bien trônait fièrement, noir et mystérieux. Mais Luciano faisait partie de ceux qui en connaissaient la signification... La secte de Zekrom. Lui qui avait passé des heures à lire, entre deux parties de jambes en l’air, dans la bibliothèque de son père, il avait découvert que la branche midgardienne de sa famille entretenait des liens étroits avec cette organisation secrète. De nombreux ouvrages cachaient en effet des pages « bonus », greffées au reste du livre, et elles contenaient des informations que Luciano avait fini par relier entre elles, au fil des années... Alors comme ça, cette carte l’aiguillait vers des indices potentiels concernant cette secte ? Lui qui avait toujours été intéressé par la Déesse qu’elle vénérait... Une occasion en or se présentait à lui. En tant que membre de la famille haïe de Reshiram, il avait toujours eu un faible pour cette divinité qu’on appelait partout « l’Hérétique ». Et voilà qu’on lui apportait ça sur un plateau !

Replaçant le tissu noir sur son œil, le jeune homme se redressa, cherchant du regard son dévoué serviteur. Au bout de quelques minutes, et avec une mauvaise foi incroyable, il décréta que Servus avait dû se perdre, et qu’il s’était probablement dit que la meilleure solution était de se rendre à Linaewen. Non, pas à Dyrinn, qui était la capitale de la tribu de la Terre, et qui se trouvait bien plus près que la cité des Chevaliers de l’Air, hein...

Apercevant sa cousine un peu plus loin, Luciano s’épousseta, arrangea sa tenue, puis lui fit signe, brandissant la précieuse carte, puis indiquant d’un geste vague la direction de la ville qu’il comptait gagner. Après tout, il pouvait bien faire route avec elle... Et il était plus rassuré à l’idée d’accompagner cette tarée qui partageait son sang. Histoire de la surveiller, déjà.

Après avoir griffonné son blason sur l’arbre qui avait amorti sa chute, le maudit se mit en marche, aux côtés de Silver, non sans pester contre les racines qui manquaient de le faire trébucher à chaque pas, et contre cette flotte stagnante qui s’infiltrait partout. Pour une fois qu’il était d’accord avec sa cousine...

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