[ Solo ] Le temps qu'il faudra.

[Lyse]

Accompagnée par son guide local, Lyse parcourait la chaîne de montagnes du Nord de Tenkei depuis quelques jours. Elle avait d’abord dû étudier le terrain de manière théorique, en profitant pour améliorer sa maîtrise de la langue du ciel, puis trouver quelqu’un qui accepterait de l’accompagner jusqu’à la Caverne de Felagund, et ces deux étapes avaient chacune eu leur lot de péripéties. Lyse avait d’abord été frustrée de devoir attendre ou reporter à plus tard, mais elle avait appris à se montrer moins impatiente et à plus profiter du moment présent. De ce fait, malgré le temps que prenait la randonnée, elle n’avait pas spécialement hâte d’arriver à destination et appréciait le temps passé sur les chemins de montagne, avec son partenaire et ses Pokémon.

La jeune femme avait eu l’occasion de passer plusieurs soirées autour d’un feu, à discuter avec Pedro, son guide dans cette expédition. Lui-même était membre de la Guilde des Explorateurs, dans la branche de Midgard ; il avait été un peu surpris de voir quelqu’un arriver d’Erasia et lui demander de l’emmener à Felagund, mais il avait accepté malgré tout. De son propre aveu, il était “l’un des seuls fous de Midgard à accepter de s’y rendre”, l’endroit étant réputé pour être extrêmement dangereux au point que certains croyaient même qu’il était tabou de s’en approcher. Pedro lui avait raconté les légendes d’Aliphyr, ainsi que ses anecdotes de guide. Les deux jeunes gens étaient devenus bons amis.

La Flamenoise profitait aussi de ce trajet parfois périlleux pour entraîner ses Pokémon. Depuis son passage à Linaewen et l’évolution de Clu, elle avait réalisé à quel point elle avait délaissé cet aspect-là de leur relation. Bien entendu, ils étaient toujours aussi bien traités, nourris et aimés, mais entraînés… Pas vraiment. Ils avaient tenté d’ignorer par tous les moyens le Domphan dans le magasin de porcelaine et s’étaient retrouvés à stagner à leur niveau, voire à régresser, en même temps que leur dresseuse. Ils ne lui en voulaient pas vraiment ; ils l’avaient vue au fond du trou, puis tenter de se relever et de se surcharger de travail pour s’occuper et savaient que la période avait été difficile pour tout le monde. Mais on sentait bien qu’humaine et Pokémon n’avaient qu’une hâte : laisser le passé derrière et se remettre vraiment en route, pas en ignorant le problème mais en prenant le Tauros par les cornes.

Un soir, après une journée d’escalade bien éprouvante, Lyse s’était tenue à l’écart de Pedro et avait rassemblé autour d’elle ses Pokémon autour d’un petit feu de camp, dans l’une des nombreuses grottes des Monts d’Obsidienne. Son Altaria était couché et Statitik et Skitty se tenaient près de lui. Son Doduo et son Draco avaient pris place de chaque côté de l’oiseau, et Vulca, sous sa forme humaine, vint s’assoir à côté de sa dresseuse. Elle semblait se douter de ce que celle-ci avait à leur dire. Lyse hésita un peu avant de se lancer, et sortit une Pierre Lune de son sac, qu’elle posa devant elle en regardant Taky. Puis elle observa un par un ses partenaires.

- On n’a jamais pris le temps d’en parler mais… J’ai réalisé récemment, grâce à Clu, que j’avais sans doute été un poids pour vous.

Personne ne fit de commentaire ou n’eut de réactions. Ils attendaient qu’elle continue, sans doute depuis longtemps. Vulca passa juste un bras dans le dos de son amie pour l’encourager.

- Taky, j’ai cette Pierre Lune dans mon sac depuis… Une éternité. Au début j’attendais juste le bon moment pour m’en servir, et puis je n’ai jamais pris le temps de te la donner, et on est resté dans le statu quo. Elle est à toi, maintenant. Tu pourras t’en servir quand tu voudras, mais je pense que tu es prêt, depuis longtemps.
C’est pareil pour vous, Statitik et Doduo. Vous êtes prêts depuis longtemps, et j’ai l’impression que, inconsciemment, ma propre absence d’évolution vous a bloqués vous aussi. Pareil pour toi, Vulca. Je ne suis pas là pour vous bloquer, je suis là pour vous aider à aller de l’avant.

Lyse jeta un regard à Perle avant de sourire.

- Dans ton cas, c’est un peu différent, n’est-ce pas ? Je pense que je n’ai pas assez fait d’effort depuis qu’on a fait la course à Mizuhan.

La Draco, qui était resté stoïque jusque là, secoua soudain la tête avec détermination. Lyse n’était pas encore assez calée en aura draconique pour bien saisir ce que le Pokémon essayait de lui dire, mais visiblement, l’idée d’évoluer de nouveau la faisait réagir négativement. La Lieuse eut un petit rire.

- Okay, okay, je n’ai rien dit. Enfin, il faudra quand même qu’on continue à s’entraîner, n’est-ce pas ? Toi, moi, nous tous. Je ne suis pas encore la plus grande Dragonnière du monde, donc j’ai encore de la marge d’amélioration.

Le groupe sembla se détendre un peu. Clu chanta une note douce qui résonna dans la caverne et réchauffa les coeurs de tout le monde.

- Quoi qu’il en soit, vous quatre… vous pouvez prendre le temps que vous voulez pour y réfléchir, mais vous êtes prêts, j’en suis certaine. Et je suis désolée que mon épisode avec… Je suis désolée de vous avoir retenu comme ça.

Comme toujours, penser à lui lui laissait un sentiment amer de tristesse et de colère au fond de la gorge. Lyse allait secouer la tête, se forcer à sourire et à penser à autre chose, mais Vulca lui attrapa la main. Elle ne souriait plus mais paraissait soucieuse.

- Dis-le.
- Quoi ? demanda Lyse, incertaine de ce que sa Pokémon attendait d’elle.
- Dis-le. Tu continues à ignorer le problème et à essayer de passer outre en espérant qu’il disparaîtra tout seul, et comme tu l’as réalisé, ça ne marche pas. Ça nous bloque… nous en tant qu’équipe, je veux dire. Toi comprise.

Le fameux Domphan dans le magasin de porcelaine. Lyse vit que tous ses Pokémon avaient la même expression que Vulca, avec différentes nuances. La gijinka exerça une pression sur la main de sa dresseuse. L’humaine était sincèrement prise au dépourvu.

- Qu’est-ce que tu veux que je dise ? Ca fait deux ans et il n’y a rien que je ne puisse faire maintenant.
- Je ne sais pas, dis la première chose qui te passe en tête ?

La Flamenoise réfléchit quelques instants. Clairement, les premières choses qui lui venaient en tête étaient des sentiments plutôt négatifs.

- … C’est un crétin.
- Par exemple, commenta Vulca avec un sourire, en serrant Lyse contre elle.
- Il me manque et je déteste ressentir ça… Et je suis triste mais en même temps j’ai l’impression que ça serait complètement vain de pleurer. Du coup je n’y arrive pas.
Et je suis en colère parce que c’est vraiment un crétin et que c’était vraiment bas de m’abandonner comme ça.
J’ai envie de savoir s’il est vivant et de le revoir mais je suis sûre que je serais capable de le brûler vif si jamais ça arrivait.

Lyse se mit à rire légèrement, et Vulca répondit sur le même ton, tandis que ses autres Pokémon acquiesçaient.

- Ca causerait des problèmes, c’est sûr.
- Ouais… Mais je méritais pas ça… J’ai fait de mon mieux, et je méritais pas ça.
- Non, c’est clair. Mais tu n’as pas le contrôle sur tout dans la vie. Tu as fait de ton mieux avec les cartes que tu pouvais jouer et le reste ne dépend pas de toi… Et oui, c’est naze, et c’est douloureux… Et tu as le droit d’aller mal et de prendre le temps qu’il faudra pour aller mieux, comme nous pour évoluer… Mais si ça peut te rassurer, tu vas de mieux en mieux, et c’est ce qui compte, conclut la gijinka en essuyant une larme au coin de l’oeil de Lyse, qui renifla en souriant.
- Depuis quand tu es devenue aussi philosophe et sage, toi ?
Oh, tu sais, être capable de parler avec pleins d’humains différents dans une Guilde, c'est instructif !

Lyse ne répondit pas, mais fit un gros câlin à son amie de toujours. Elle avait bien grandi depuis qu’elle était sortie de son oeuf ! Ses autres Pokémon comprirent le signal et rejoignirent le duo pour faire un gros câlin de groupe. Malgré la pression des corps les uns contre les autres, la Flamenoise sentit un poids en moins sur ses épaules. Cela faisait du bien de se sentir aimée !

--

Au réveil, ses Pokémon s’étaient dispersés dans la grotte, à l’exception d’Altaria qui était resté dormir près de la jeune femme. Lyse se leva et salua Pedro, avant de chercher le reste de son équipe dans la caverne et ses alentours. Vulca était debout, à l’entrée, et observait le soleil se lever tandis que chacune de ses respirations formaient des volutes de condensation. La Flamenoise s’approcha d’elle en se disant qu’il y avait un truc étrange… La gijinka se tourna vers elle en souriant.

- Salut, fit-elle d’une voix plus grave qu’à l’accoutumée.

- Salut, répondit Lyse tout en la dévisageant, puis en l’observant de haut en bas. Ton apparence humaine a changé, non ? Est-ce que ça veut dire qu’en Pokémon aussi, tu… ?
- J’étais prête, comme tu l’as dit, confirma la désormais Typhlosion humanisée. Et toi aussi. Donc, pourquoi attendre plus longtemps ? D’ailleurs, je ne suis pas la seule, regarde.

La femme lui désigna un mouvement, dehors, sur le chemin de terre qui montait le long de la corniche, et Lyse réalisa après un moment de perplexité qu’il s’agissait d’un Dodrio, particulièrement caractéristique parce qu’il était plutôt verdâtre. Il semblait découvrir avec bonheur la vitesse de ses nouvelles pattes. Déjà qu’il avait toujours été rapide, qu’est-ce que ça devait être maintenant ! Vulca lui montra aussi une seconde silhouette, sur un rocher, qui observait le paysage. Taky, avec sa Pierre Lune.

- Oh… Il a besoin de plus de temps ?
- Pas vraiment… Mais l’évolution, ça nous transforme pour toujours, et il n’y a pas de retour en arrière possible. Je pense qu’il profite au maximum de ses derniers instants de Skitty.

Et comme s’il avait simplement attendu que sa dresseuse soit là pour le voir, le félin posa finalement la patte sur la pierre évolutive et se mit à briller, puis à grandir, avant de se stabiliser dans une nouvelle forme de Delcatty. Il s’étira, se tourna vers Lyse en secouant sa queue, et la rejoignit en quelques bonds pour se frotter à ses jambes en ronronnant. L’humaine lui gratta la tête avec fierté.

- Statitik n’était pas avec vous ? Il est toujours quelque part à l’intérieur ?

Ce fut l'Altaria qui répondit à sa question, en chantonnant pour attirer son attention. Une petite silhouette jaune s’extirpa de ses ailes de coton, et Lyse l’attrapa dans ses mains et le regarda escalader son bras jusqu’à son épaule.

- Ow, tu n’as pas voulu évoluer tout de suite, toi ? C’est pas grave, le rassura-t-elle en lui frottant la tête, générant des petites étincelles. D’après ce que j’ai appris, ton évolution est beaucoup plus grosse que toi, je ne serai plus capable de te porter comme ça. Autant en profiter encore un peu !
- Hola, Lysa, l’appela alors Pedro. Tu as refait toute ton équipe pendant la nuit ?

La Flamenoise n’était pas sûre de s’il était en train de blaguer ou s’il était sérieux. Après tout, ces espèces lui étaient sans doute un peu étrangères… Elle répondit donc honnêtement qu’ils avaient évolué. Le guide la félicita, avant de lui signaler, ainsi qu’à toute sa petite troupe, qu’il était temps de prendre le petit-déjeuner et de se remettre en route.