[ Clos ] L'antre de l'épreuve [Peter]

[Yûn]

Laissant Mizuki et Reverie derrière elle, la disciple du Dragon Master s’était envolée sur la dame des dunes de son maître. En quelques battements de ses ailes membraneuses, la douce dragonne avait emmené sa cavalière au niveau des nuages qui parcouraient les cieux. Heureusement, ceux-ci étaient beaucoup plus éparpillés et bien moins impressionnants que lors de leur arrivée sur cette terre suspendue par des fils invisibles.
L’altitude atteinte leur offrait une vue époustouflante de Tenkei, accentuée par le Soleil qui, au loin, se couchait lentement et enflammait la voûte de sa lumière. Il est vrai que Yûn n’avait pas vraiment pu profiter de ce spectacle auparavant. Après tout, elle avait été attaquée peu de temps après que le Nalcien et elle aient dépassé le sol de cette île étrange.
Mais elle n’avait plus à s’en faire, n’est-ce pas ? Son maître était hors de danger. Elle en était convaincue, car sinon Sunagon n’aurait pas été aussi calme. Certes, elle aurait peut-être tenté de camoufler son inquiétude en l’enfermant en son sein, mais la jeune fille était désormais capable de lire avec plus ou moins de précision les sentiments de ces nobles êtres. Et elle ne décelait aucun tressaillement inhabituel dans les battements de cœur de cette créature harmonieuse qu’elle connaissait bien, maintenant. Donc, elle n’avait rien à craindre de ce côté-là.
En tout cas, Yûn avait été énormément soulagée de voir le mirage du désert. Car avec Uroko blessé, essayer de rejoindre le Dragon Master aurait été mission impossible. Et même s’il avait été opérationnel, comment auraient-ils pu le localiser, vu l’étendue du nouveau continent… Sunagon, au moins, connaissait par cœur l’aura de son partenaire humain, et savait vers où elle devait se diriger.
Cette pensée en tête, l’apprentie Dragonnière se pencha en avant pour gêner le moins possible sa gracieuse monture, qui fila à travers l’immensité du ciel embrasé.

Le trajet ne dura pas si longtemps que ça, en comparaison avec toute l’ascension entre Erasia et Tenkei. En revanche, le temps se rafraîchissait à chaque seconde. L’astre solaire n’en était pas l’unique raison. En effet, elles se dirigeaient vers des massifs sombres comme les iris ténébreux d’Uroko.
Quelque chose attira l’attention de la dame des sables. Elle sembla hésitante un instant, puis s’empressa de s’orienter vers la cause de ce ressenti. Yûn comprit quelques secondes plus tard pourquoi sa monture temporaire avait pris une telle décision. Elle aussi, elle la sentait. Une forte aura de Dragon émanait d’un point de ces montagnes. Si puissante que l’épiderme de la jeune fille se hérissa.
Oui, Sunagon avait raison. Si Peter était quelque part, c’était certainement dans cet endroit qui dégageait une telle présence des créatures à écailles qui le fascinaient.

Il ne fallut pas longtemps pour la dame des dunes pour localiser son maître. Debout, sa cape encre et vermeil ondulait sous les caprices du léger vent glacé qui semblait sortir de la gueule béante de la montagne que le Nalcien examinait.
La douce dragonne amorça sa descente et se posa sans heurts sur la terre d’obsidienne recouverte d’un léger manteau d’innocence, soulevant quelques flocons. Yûn mit pied à terre et remercia la créature du désert en posant sa main sur son cou gracile. Ce à quoi la combattante du Dragon Master répondit en touchant la poitrine de la jeune fille avec son museau. Puis, la Terrosienne se retourna et s’avança vers le Champion aux dragons. Mais à mesure qu’elle s’approchait de lui… Sa confiance en elle disparaissait. Qu’allait-elle lui dire ? Après tout, à cause d’elle, sa mission était retardée…
C’est dans cet état d’esprit que l’apprentie Dragonnière s’immobilisa devant l’homme passionné par ces nobles êtres. Elle demeura silencieuse un instant… Puis osa finalement parler, la tête baissée.

« Je… Je suis désolée de vous avoir causé du souci, Sensei… Je vous prie de m’excuser. »

[Peter]

La « visite » du désert de sel n’avait que peu duré, puisque Peter et Kairyuu avaient trouvé ce qui ressemblait à une délimitation plutôt encourageante du salar. Après leur avoir annoncé la bonne nouvelle, le Dragon Master avait conduit Tsubaki et Alvaro, grâce à Hakkatsu, à la sortie de cet enfer. Quelques recommandations d’usage et un don de vivres plus tard, le champion nalcien et son compagnon étaient déjà loin, fonçant tout droit vers la source d’une puissante aura qui avait rendu Peter assez nerveux depuis son arrivée sur le continent flottant.

En effet, lui et ses Pokémon avaient perçu une présence à la fois discrète pour les non initiés et écrasante pour les gens capables de l’identifier. S’ils avaient déjà rencontré deux créatures locales, elles ne présentaient que peu d’intérêt pour le Dragon Master et sa famille. En revanche, la majestueuse vague de puissance qui semblait émaner d’un lieu pourtant assez éloigné du salar avait suscité leur curiosité. Le Dracolosse du maître, déchargé d’une partie de sa cargaison, filait donc d’autant plus vite vers ce lieu de mystère qui l’attirait comme un aimant. La perspective d’y trouver des Dragons inconnus rendait Peter fébrile, chose rare chez lui, et s’il n’oubliait pas la mission confiée à deux de ses Pokémon, il savait pertinemment que l’une comme l’autre le retrouveraient aisément, ce qui lui autorisait un petit répit dans son inquiétude constante pour sa jeune élève.

Alors que sa monture se rapprochait de l’origine de l’aura, Peter plissa les yeux en apercevant, au loin, une forme grise aux contours accidentés qu’il connaissait bien. Visiblement, Sakeriba revenait vers lui, et vu le tube de métal qu’elle tenait dans ses pattes, exactement dans sa position initiale, elle n’avait pas trouvé Yûn. Le ptérodactyle s’arrêta net près de la tête de Kairyuu, puis secoua la sienne de gauche à droite pour signifier qu’elle était rentrée bredouille. Sans un mot, le champion récupéra le tube, le rangea dans un recoin de sa cape et hocha la tête. Espérant que Sunagon avait eu plus de chance, il poursuivit en direction d’une montagne haute et peu avenante.

Lorsque le Dracolosse se posa, lui et son maître sentirent un frisson les parcourir des pieds à la tête, comme si le lieu les prévenait et les avertissait. Mais la présence draconienne était si puissante que Peter n’aurait renoncé à entrer dans le trou béant qui déchirait le flanc de la roche pour rien au monde. Rappelant sa Ptéra, il fit un pas vers l’entrée, écoutant les voix de milliers de Dragons, passés ou présents,  se déchaîner en lui. Oui, ça ne faisait aucun doute. Les créatures mythiques de cette contrée inconnue étaient là, hostiles, prêtes à accueillir tout intrus comme il se doit. Peter prit un moment pour boire et manger, tout comme Kairyuu, après s’être assis respectueusement devant l’ouverture qui crachait un vent glacé et menaçant.

Il resta là de longues heures, en tailleur, les paumes en contact direct avec le sol rocailleux, tentant de se faire accepter par l’antre des Dragons. Il se leva finalement, lentement, alors que son Dracolosse agitait doucement ses ailes et soufflait par les naseaux. Le Nalcien, à défaut d’être totalement accepté par les habitants de la Caverne, avait été invité à entrer par l’endroit même, comme si le dédale de galeries sinueuses était une entité à lui seul. Une bise gelée souffla soudain, et Peter entendit un murmure lui chuchoter à l’oreille. « Felagund ». Le mot avait été soufflé à lui, comme un précieux sésame qu’on aurait glissé à quelqu’un après l’avoir soigneusement examiné pour tester sa valeur. Si le Dragon Master n’avait aucune idée de la signification de ces trois syllabes, il ne se méprenait pas sur sa symbolique. L’humain pouvait entrer, car il était aussi, par certains traits, un Dragon.

Le silence que gardait Peter, dans une sorte de recueillement empreint de respect, fut brisé par un cri bref de Kairyuu. Lorsqu’il l’entendit, le champion ressentit, dans le même temps, une aura familière se rapprocher. Impassible, il observa le minuscule point vert qui se dirigeait vers eux, avant de distinguer et de capter, faiblement (la Libégon n’était, pour l’instant, pas reliée à la terre, tout comme Yûn) les pulsations de la jeune femme qui chevauchait Sunagon. Une vague de soulagement le submergea lorsqu’il la vit se tenir droite sur le dos de sa monture. Elle n’avait apparemment aucune blessure visible, et même si elle pouvait avoir des lésions dissimulées, son teint n’était pas aussi pâle que lorsqu’elle était tombée lors de la course contre Sandra.

La voix du désert incarnée se posa en douceur, puis répondit à la caresse furtive de sa cavalière en touchant sa poitrine du museau. Elle voleta ensuite vers son maître pour quémander une autre caresse, venant de lui, cette fois, tandis que Yûn s’approchait elle aussi de lui. Elle prit finalement la parole, en fixant le sol, et s’excusa de lui avoir causé du souci. Un sourire bienveillant apparut sur le visage du maître, qui leva ses bras pour poser ses mains chaudes et rassurantes sur les épaules de sa disciple. Il se décida alors à lui parler, pour mettre fin aux battements furieux et désordonnés du cœur de l’élève sans doute plus gênée et honteuse qu’elle ne l’avait jamais été.

« Yûn… »

En entendant son nom, mais surtout le ton de la voix de son maître, la Terrosienne leva ses yeux d’argent vers lui. Son regard croisa celui, débordant de soulagement et de gentillesse, du Nalcien.

« … Je suis heureux de revoir, et de constater que tu n’as rien. Tu n’as pas à t’excuser… Tu n’es pas responsable de ce qui est arrivé. Cet orage nous a clairement attaqués… Et tu as eu beaucoup de chance. Par contre, pour Uroko… »

Le Dragon Master jeta un œil à la Ball du Drattak, percevant une fatigue plutôt inquiétante. Puisque Yûn n’avait rien, il était plus que probable qu’Uroko soit blessé. En effet, Peter ne voyait pas par quel miracle le duo aurait pu s’en tirer indemne, vu la chute vertigineuse qu’ils avaient fait.

« Si ça ne te dérange pas, j’aimerais le voir… Histoire de m’assurer qu’il n’est pas en danger. »

Il se tourna ensuite un instant vers la Caverne, puis de nouveau vers son apprentie.

« Comme tu as pu le sentir, cet endroit est la demeure de nombreux Dragons… Et vu la faune que j’ai pu rencontrer jusque là, il s’agit probablement d’espèces inconnues de nous. J’ai eu l’autorisation d’entrer… Et pour te faire accepter, tu vas devoir faire de même, mais… Différemment. »

Le Dragon Master entendait par là qu’il ne laisserait pas à Yûn le temps qu’il lui avait fallu pour être invité à pénétrer dans le repaire des créatures de légende. Il désirait en effet lui faire subir une épreuve à laquelle il n’aurait jamais songé si son élève n’en était pas rendue à ce stade de son apprentissage. Entrer dans un tel lieu et prouver à ses habitants qu’elle méritait d’y rester, tout en prenant garde à ne blesser personne (y compris elle-même) était un challenge de taille. Peter aurait pu se livrer à cet exercice, mais il voulait à tout prix conserver toutes ses forces, au cas où les Pokémon de Felagund parviendraient à signifier à Yûn leur refus de l’y accueillir. Il doutait fortement que l’épreuve soit un échec, et de son mauvais déroulement, mais il était sans cesse aux aguets, et la prudence était toujours de mise lorsqu’on côtoyait des êtres de ce calibre. D’un geste ample de la main, il désigna la gueule béante et glacée qui leur faisait face.

« Je t’en prie, entre… Je suis derrière toi, ne crains rien. C’est à toi de jouer. »

[Yûn]

L’attitude de son Maître acheva de soulager la jeune Terrosienne. Il ne lui mentait pas, elle le savait. Elle le lisait dans ses iris, mais aussi dans les battements de cœur qu’elle percevait à travers ses bras posés sur ses épaules. Un petit sourire timide et encore un peu gêné se dessina sur ses lèvres, et elle ne put s’empêcher de détourner le regard.

En revanche… A l’évocation d’Uroko, elle tressaillit. Lui aussi avait certainement senti la fatigue qui se dégageait de sa capsule. Elle hésita. Une créature meurtrie était plus dangereuse que lorsqu’elle était en pleine forme. Il risquait d’être encore plus désagréable que de coutume… D’autant plus que le climat ne risquait pas de lui plaire, loin de là.
Mais qu’est-ce qu’elle racontait ? Elle était bien parvenue à le calmer, lorsque la rage s’était emparée de lui au moment où Mizuki lui avait remis les os en place. Il n’y avait donc aucune raison pour qu’elle ne soit pas capable de le contenir maintenant. Surtout que le Dragon Master était présent.

« Je… Nous avons eu de la chance. Une Défenseuse erasienne était présente à l’endroit où nous sommes tombés. Mais… Il n’est pas encore en état. »

Doucement, elle saisit la sphère assez éraflée. Un léger tremblement la parcourut, qui agita quelque peu la main qui la tenait fermement. Yûn poussa un petit soupir soulagé. S’il réagissait comme ça, cela voulait dire qu’il s’était réveillé. Avec mille précautions, la jeune fille enclencha le mécanisme d’ouverture de la pokéball. Le globe se scinda en deux, libérant sa lumière aveuglante. Quand elle se dissipa, ce fut pour dévoiler le coéquipier de la disciple du Champion aux Dragons. Il avait recouvert son apparence d’hybride, signe qu’il avait effectivement récupéré des forces. Mais il n’était pas entièrement rétabli. Son aile meurtrie pendait lamentablement, touchant même la terre gelée. Sa queue, elle, demeurait immobile. Etonnant puisque, habituellement, elle ne cessait ses va et vient sur le sol, raclant la poussière, seul témoin physique de sa méfiance envers le Dragon Master lorsqu’il était en sa présence. De plus, il gardait une main au niveau de ses côtes abîmées et était penché en avant. Certes, Mizuki avait fait du bon travail, mais il faudrait du temps avant que le Drattak ne retrouve toutes ses facultés.
Yûn s’approcha de lui, en faisant attention à ne pas faire de gestes trop brusques, qui auraient pu l’énerver –ce qu’il fallait à tout prix éviter, pour le bien de tous. Elle posa doucement sa main sur son bras libre. Elle ressentait la douleur qui devait traverser son corps, mais aussi qu’elle était bien plus supportable que celle qu’il avait connue quelques heures auparavant.

« Oui, oui, ça va mieux… » Maugréa l’homme-Drattak avant même qu’elle n’ait dit quoi que ce soit.

Il releva la tête et fixa ses yeux d’onyx éclatant sur Peter. Un instant, la jeune fille à la chevelure de Lune craignit le pire. Surtout lorsqu’elle vit sa lèvre supérieure se retrousser légèrement, dévoilant ses crocs blancs et pointus.
Peut-être perçut-il cette peur ? En tout cas, sa réaction fut bien moins hostile que ce à quoi elle s’était attendue. Et même… Non, elle ne pouvait pas dire amicale. Mais en tout cas, beaucoup plus mesurée que d’ordinaire.
La créature aux traits d’humains et de dragons laissa finalement échapper quelques mots.

« Sans commentaire, ok ? »

Uroko se redressa soudainement –enfin, autant que son enveloppe charnelle endolorie le lui permettait- et regarda vers la Caverne. Forcément, lui aussi sentait la présence des êtres à écailles dont il partageait certains des gênes.

« On n’a pas idée de vivre dans un endroit pareil… » Grommela-t-il
-Tout le monde n’a pas les mêmes goûts que toi, tu sais. » Lui répondit son amie avec un sourire chaleureux.

Bon, s’il avait la force de faire de telles remarques, c’était une bonne nouvelle.
En revanche, il tiqua fortement aux dires du Champion nalcien.

« Comment ça, se faire accepter différemment de toi ?! Qu’est-ce que t’entends par là, pseudo-dragon ?
-Uroko, ça va, calme-toi. »

Le dragon d’azur et de sang la considéra, les sourcils froncés. Mais il finit par détourner la tête, montrant implicitement qu’il ne ferait pas d’autres commentaires… Sur ce sujet-là du moins.
La jeune Terrosienne s’écarta de son partenaire, et s’avança vers l’entrée de la grotte. Comme un avertissement des habitants du lieu, un vent froid s’en échappa accompagné d’un mugissement à glacer le sang. Mais elle ne devait pas se laisser impressionner. Yûn domina les battements de son cœur, jusqu’à ce que sa pompe organique adopte une cadence paisible. C’était la première chose à faire. Maintenant…

La jeune fille aux cheveux d’argent inspira profondément… Et franchit le seuil de la Caverne.

Quelle étrange ambiance. Le lieu était à la fois vide et grouillant de vie, glacé mais bouillait des êtres qui le parcouraient inlassablement. A mesure qu’elle marchait, le malaise s’accentuait. Elle le sentait. Elle était observée de part et d’autres, par des yeux invisibles. Ils devaient certainement se demander qui était cette créature, qui osait s’aventurer en leur demeure. Encore, l’homme qui l’accompagnait était-il considéré comme un invité. Mais elle… Ils étaient encore dubitatifs.
Ses pas résonnaient étrangement, alors que même la démarche lourde de son dragon blessé semblait avoir plus de légèreté que l’allure de velours des félins.

Se faire accepter… Mais comment ? Devait-elle faire comme avec Sunagon, Hakkatsu et les autres créatures célestes avec lesquelles elle s’était entraînée ? C’était plus compliqué en pratique qu’en théorie. Aucun des êtres présents n’avait le même rythme cardiaque. Elle risqua un regard vers son Maître. Bien entendu, son visage était stoïque. Comme à chaque fois qu’il lui imposait un exercice.

Après quelques minutes de marche, qui semblèrent durer une éternité pour la jeune fille, le groupe déboucha sur une salle. Plusieurs chemins s’offraient à eux. Cependant, l’un en particulier attira son attention. Elle se dirigea vers lui… Et ne tarda pas à tomber sur ce qu’elle espérait.
Un Dragon.
Son corps à la teinte des abysses était recouvert en partie d’une espèce de fourrure d’encre. Seule sa bouche, dotée de petits crocs pointus, sortait de la longue frange qui voilait sa tête.
L’être mythique redressa son cou, les narines dilatées, un petit grondement montant dans sa gorge. Yûn s’immobilisa, pour montrer qu’elle n’était pas hostile. Cela ne sembla pas convaincre la créature outre mesure. Celle-ci lâcha un rugissement rauque, dans le but d’impressionner l’intruse. Voir que celle-ci ne bougeait pas accentua sa rage. Le Dragon poussa un nouveau cri, en avançant d’un pas. L’apprentie Dragonnière ne bronchait toujours pas.
Alors, la créature d’abysse et de jais passa à l’attaque. La gueule garnie de crocs cracha son souffle corrosif, prêt à brûler l’épiderme si fragile de l’humaine. Mais la Terrosienne ne se laissa pas faire. Elle gonfla son ventre d’air, avant de relâcher ce qu’elle avait avalé. Néanmoins, ce n’était plus une inoffensive expiration qui quitta ses poumons. Bien au contraire. Ce fut un serpent de jade, aussi ardent que celui de son ‘adversaire’, qui fila à la rencontre de son congénère. Les deux gerbes de feu sacré des Dragons s’annulèrent.
Cela ne manqua pas d’étonner l’habitant de la Caverne. Il recula la tête avec un petit couinement de surprise. Comment ? Cette chose-là savait attaquer comme lui ? Hum… Etrange… Mais, cela pouvait être un imposteur !
Une nouvelle fois, la gueule menaçante libéra son projectile. Cette fois, une sphère ardente de flammes bleues, qui fusa. Pourtant… Yûn le savait. Elle pouvait l’éviter.
Et elle s’exécuta sans attendre. Un pas vif et précis sur le côté, le pied posé juste là où la glace traîtresse ne lui jouerait pas de tour. En moins d’une seconde, elle avait su analyser la situation, choisir la meilleure chose à faire. Le globe enflammé frôla son épaule gauche, mais ne l’atteint pas.

Soudain, une douleur lancinante lui traversa le bras droit. La Draco-Rage n’avait été qu’une diversion. Le Dragon en avait profité pour se précipiter vers elle et refermer sa mâchoire sur le membre à sa portée. La jeune fille à la chevelure de Lune réprima une plainte. Son cœur échappa à son contrôle et commença à s’emballer, renforçant les soupçons de la créature qui la maintenait prisonnière. Les crocs s’enfoncèrent plus profondément dans la chair.
Alors qu’elle pensait avoir analysé correctement la situation, elle n’avait même pas mis au jour le plus évident. Et elle le payait cher.
Yûn perçut alors de l’agitation, derrière elle.

« Non ! »

Son éclat de voix eut pour effet d’affermir davantage encore la prise de l’être mythique. Un grondement sourd monta de sa gorge. Yûn serra les dents. Si cette créature décidait de lui briser le bras, voire de lui arracher, il y avait tout à parier qu’elle le ferait.

« Non… S’il vous plaît… Uroko, Sensei… N’intervenez pas... »

Elle avait dit ça à voix basse et neutre, afin de ne pas envenimer la situation. Si elle parvenait à convaincre ce Dragon qu’elle n’était pas une intruse... Si elle atteignait son cœur… Alors, elle acquerrait certainement l’estime des maîtres des lieux, en plus de l’accomplissement de l’exercice imposé par le Dragon Master.

[Peter]

Alors que son élève marchait devant lui, Peter sentait les regards des habitants de la grotte se braquer sur eux. Sur lui, ils étaient neutres, voire presque bienveillants, mais sur Yûn, c’était un sentiment de curiosité et de quasi hostilité qu’ils envoyaient. Lorsque le chemin se sépara en de multiples possibilités, elle choisit, comme il l’espérait, celui qui menait à une aura assez forte de Dragon isolé. Ils avancèrent dans cette direction, et le Dragon Master fronça les sourcils. Il trouvait en effet assez étrange de percevoir une présence si distincte de celle de ses congénères, comme si elle était mise à part, volontairement ou non. Ce fut au milieu de ce questionnement intérieur que le Pokémon se révéla à eux, dans un recoin. Son corps était bleu, recouvert d’une fourrure noire, et une partie de sa face était recouverte de ce pelage dru et dense. Aussitôt, le petit Dragon se leva, gronda, et avança vers les deux humains. Un premier cri, puis un second, et l’avertissement se changea en souffle brûlant qui fusa sur la jeune Terrosienne. Celle-ci cracha alors une réplique parfaite de l’attaque draconienne, et la collision ne produisit qu’un petit nuage de fumée et de poussière.

Comme prévu, le Pokémon fut assez surpris de voir son attaque repoussée et, pire encore, copiée. Il ne se démonta pas pour autant, et il balança sur Yûn une Draco-Rage qu’elle esquiva d’un pas sur le côté. Cependant, Peter secoua la tête, comme pour désapprouver son mouvement. Elle avait été trop naïve, et la créature maintenant accrochée fermement à son bras en était la preuve. Elle avait encore beaucoup à apprendre, et elle semblait quelque peu affolée par l’attaque subite du Dragon. Son cœur commença à battre violemment, de manière désordonnée, et Uroko, à gauche du champion, esquissa un geste vers sa dresseuse. Peter, lui, resta impassible, se doutant que sa disciple leur dirait de ne rien faire. Cependant, elle signala qu’elle voulait se débrouiller seule en criant, ce qui fut sa deuxième erreur, car la créature tressaillit et enfonça un peu plus encore ses crocs dans le morceau de chair. Peter plissa les yeux, seule manifestation de sa désapprobation, et entreprit de faire ce qu’il n’avait pas accompli depuis assez longtemps, à savoir calquer ses sens sur ceux d’un Dragon afin de voir le monde à leur manière.

Une douce lumière entoura le Nalcien tandis qu’il « projetait » son ouïe, puis son odorat sur le Pokémon. Aussitôt, il se mit à entendre le moindre souffle, la moindre respiration des créatures qui vivaient là, alors qu’un millier de senteurs envahissaient ses narines. Le choc fit vaciller légèrement le Dragon Master, sans doute parce qu’il n’était plus habitué à l’exercice, mais aussi parce les perceptions sensorielles du Pokémon qui leur faisait face étaient particulièrement développées. Peter se reprit, puis passa au toucher, et il sentit la chair de Yûn comme s’il l’avait personnellement mordue. Le goût suivit immédiatement, inondant le palais du champion d’une rouille et d’un sang amers. La jeune élève était particulièrement affolée, et semblait désemparée, mais son sang révélait aussi qu’elle cherchait une solution à toute vitesse pour se défaire de l’emprise du Dragon. Et le monde de Peter devint subitement aussi noir que l’onyx de la fourrure du Pokémon.

Le Dragon Master crut d’abord que c’était les longs poils qui obstruaient la vue de la bête, ce qui aurait expliqué sa cécité. Mais elle n’aurait dû être que partielle, et des pans de paysage auraient dû être là, découpés, mais présents. Pourtant, ce n’était pas le cas. Aucune lumière ne filtrait ou ne tentait une percée pour venir illuminer le champ de vision partagée, et Peter fit rapidement le rapprochement entre l’acuité des autres sens et la totale absence de capacité à discerner quoi que ce soit avec ses yeux.

De toute évidence, ce Dragon était complètement aveugle.

En essayant de s’habituer à cette nouvelle perception assez déroutante, l’homme-Dragon fit un pas vers la jeune fille, puis murmura :

« Je te vois, et je sais. »

Le Pokémon tourna tous ses sens vers la créature étrange et qui était un peu un Dragon sans pour autant faire partie des leurs. Il desserra légèrement sa prise sur le bras douloureux de Yûn, qui devait à présent avoir calmé la danse furieuse de son organe vital. La situation tournait à l’avantage des étrangers, ce qui n’était pas pour leur déplaire… Jusqu’à ce qu’un cri déchire l’espace, vrillant les tympans du Dragon et de l’homme synchronisé avec lui.

Un autre Dragon était là, menaçant, sans doute alerté par les perturbations sonores et olfactives qu’il avait perçues. Ses contours déchiquetés et colorés évoquaient un monstre sorti d’un enfer inimaginable, et les pointes qui étaient la constituante majeure de son anatomie étaient sans aucun doute faites pour tuer. La créature hurla de nouveau, ouvrant grand sa gueule garnie de crocs, et fixa le Dragon Master aux yeux à présent clos. Ses paupières s’étaient fermées par pur réflexe, comme pour s’adapter à la vision du Pokémon bleuté, et il ne comptait pas rompre la synchronisation de sitôt. Il faudrait, idéalement, qu’il le fasse progressivement, et que ce soit dans le calme le plus total, pour éviter de brusquer leurs sens respectifs. Mais le nouvel arrivant ne leur donnerait peut-être pas cette occasion, et Peter, de toute manière, n’était pas gêné outre mesure par ce handicap apparent. La force des autres sens était telle qu’elle lui permettait de se mouvoir certes différemment, mais avec autant d’aisance que d’habitude. Le Peter aveugle se tourna vers l’autre Dragon, décelant un parfum agressif et violent en lui. Il parla alors doucement, sans variations de voix, comme l’aurait probablement fait le Solochi s’il avait pu s’exprimer ainsi.

« Yûn, je suis comme le Dragon qui t’a mordu, en ce moment… Je ne vois absolument rien. Mais je sens que le nouveau Pokémon est… Plus dangereux, plus territorial… Et plus apte à te faire du mal. Fais bien attention. Ne t’en fais pas, je te vois quand même. »

Par « voir », il entendait percevoir la Terrosienne aussi bien que s’il avait les yeux ouverts. La cécité momentanée n’affectait en rien sa capacité d’analyse et de perception du monde qui l’entourait. Concentré sur la créature multicolore, Peter attendit, en silence, que sa disciple poursuive l’exercice.

[Yûn]

Malgré son bras endolori et les crocs plantés dans sa chair, Yûn continuait de mettre en pratique l’enseignement de son Maître. Et elle essayait de se dépasser, de faire mieux que de coutume.
Pour cela, elle tenta de faire abstraction de tout ce qui l’entourait, pour ne plus que se focaliser que sur deux choses. Elle, et surtout son esprit et son cœur, ainsi que la créature mythique qui lui faisait face. Et tout d’abord, comme elle avait l’habitude de le faire désormais avec les compagnons du Dragon Master et Uroko, elle chercha à harmoniser ses battements avec ceux du Dragon d’abysse et d’encre.

La tâche fut plus ardue et demanda plus de temps que de coutume. La créature sauvage n’avait probablement jamais été en contact avec des humains, et on sentait l’inquiétude et la colère se mêler dans le rythme de sa pompe organique. Doucement, Yûn s’efforça à chasser toute trace de doute en elle. Elle devait se montrer confiante et sûre d’elle. Sans ça, comment convaincre un inconnu qu’elle n’avait aucune mauvaise intention, mais souhaitait plutôt se présenter ?
Cela prit plus de temps qu’il fallut, mais l’apprentie Dragonnière parvint enfin à synchroniser son cœur avec celui de son ‘agresseur’. Ce dernier parut assez surpris et méfiant. Elle pouvait deviner ce qu’il ressentait. Enfin, plus ou moins. Elle l’avait déjà copié en employant un Dracosouffle, quelques minutes auparavant, voilà qu’elle cherchait à imiter le fonctionnement de son corps ? Mais pour qui donc se prenait-elle ?
Il fallait à tout prix mettre au clair la situation. Elle devait dissiper tout malentendu. Alors, du fond de son âme, du plus profond de son être, Yûn répéta ces quelques mots.

« Je ne vous veux aucun mal… »

Cette phrase, n’était pas le fait d’un exercice du Dragon Master. En fait, c’était en discutant avec Uroko à propos de la manière de se présenter et de se faire accepter par ses congénères qu’elle avait songé à cela. L’hybride lui avait expliqué ce que faisait Peter, lorsqu’il entrait en contact avec des Dragons, et les autres Pokémon en général.

« Maintenant il doit agir inconsciemment, donc il ne s’en rend pas vraiment compte. Mais, ce qu’il fait, c’est que… Comment dire… C’est difficile à expliquer… »

Il y avait eu un petit silence, puis le Drattak sembla trouver comment faire pour expliciter ses propos.

« En fait… Il fait résonner son âme et sa personnalité dans celle de son interlocuteur. Enfin, une partie du moins. Assez pour que le concerné juge s’il est digne de sa confiance ou pas.
- Résonner son âme… ? Mais, comment tu fais ?
- Qu’est-ce que j’en sais, moi ! Hum, désolé… Déjà, son truc de synchroniser son cœur et sa respiration avec un Dragon, ça aide vraiment. En principe, le Dragon sent alors qu’il a en face de lui une créature qui est potentiellement capable de se mettre au même niveau que lui et de le comprendre. Mais, ça ne fait pas tout.
Après, c’est plus compliqué. Il a tellement l’habitude des Dragons qu’il est même plus obligé de passer par la deuxième étape, parfois. Mais toi, hors de question que tu te risques à faire ça !
- Arrête de t’arrêter à chaque fois, alors…
- Oui, bon. Bref, grosso modo, une fois ça fait, il donne accès au Dragon à une partie de sa personnalité, ou de son âme, si tu préfères. Pour ça, il lui parle, mais pas avec des mots. Avec des sentiments, il cherche à le convaincre de sa sincérité. Tu vois ce que je veux dire ?
- … Pas vraiment, non.
- Je t’avais prévenu que c’était pas simple. Comment dire… Ah, je sais ! Imagine que tu sois perdue, au milieu d’une grande foule. Tu serais paniquée, non ? »

Yûn hocha la tête, mais elle ne voyait pas le rapprochement.

« Si quelqu’un s’approchait de toi et te disait qu’il veut t’aider, mais que son visage, ses yeux montrent le contraire, tu aurais encore plus peur et tu te braquerais, pas vrai ? Par contre, si cette personne te dit ça et que tu lis dans ses yeux qu’elle est sincère, qu’elle s’inquiète pour toi, là tu seras plus rassurée et tu lui feras confiance.
- Je crois que je vois où tu veux en venir… Mais, ça reste quand même pas mal abstrait.
- Tu crois quoi ? Nous autres, Dragons, nous ne sommes pas des bourrins qui ne jurent que par la force ! … Arrête de me regarder comme ça, c’est vrai. Pour nous, ce qui est primordial, c’est la confiance en la personne avec qui l’on parle ou vit. Enfin, ça, c’est pour un dresseur lambda. Mais toi, qui veux devenir Dragonnière, tu dois aller au-delà de ça.
- Comment ça ?
- Un Dragonnier –comme ce pseudo-dragon en est la preuve…- a dépassé le stade de la confiance. Je ne sais pas si tu l’as senti, mais c’est une vraie relation de réciprocité qui est en place avec Kairyuu et les autres. Et c’est ça qu’il cherche à mettre en place avec chaque nouveau Dragon qu’il croise.
- D’accord… Mais dans ce cas, pourquoi ça n’a pas marché avec toi ?
- Raisons personnelles.
- C’est ça… Et comment je fais pour ça, alors ?
- En théorie, c’est simple. Tu dois lui montrer que tu es une alliée sur qui il peut compter, au même titre que s’il s’agissait d’un autre Dragon. Mais c’est justement ça qui est difficile, pour des humains. Malgré tous vos efforts, votre entraînement, il y a une limite contre laquelle vous ne pourrez rien, même si vous la repoussez au maximum. Celle de votre corps. Et ça, ça peut vous handicaper. Parce que, à ton stade, si un Dragon te juge trop faible pour ce que tu prétends être, soit tu vas t’attirer sa compassion, et dans ce cas la balance est déséquilibrée, soit tu vas le mettre en colère pour ce qu’il considère être de l’arrogance. Et là, c’est fichu. »


La Terrosienne, s’en remettant aux explications de son partenaire, répétait inlassablement cette phrase silencieuse. Mais pas d’une manière mécanique, qui aurait sonné faux. Elle essayait de la rendre la plus bienveillante possible. Pour ça, ce n’était pas très compliqué. Son caractère correspondait tout à fait à ça. S’il avait au contraire fallu prononcer une déclaration de guerre, là elle aurait eu plus de mal.
Cependant, restait à savoir si le Dragon d’encre et d’abysse serait convaincu par ce qu’elle considérait comme étant la partie la plus sincère de son âme.

Yûn sentit alors la présence de l’esprit du Champion aux Dragons dans celui qui lui blessait actuellement le bras. Elle comprit alors véritablement ce que son Drattak avait essayé de lui faire comprendre. Le Dragon Master n’était pas considéré comme un intrus, mais plutôt comme un invité, et presque un ami. Pour un peu, c’est vrai, c’était comme s’il était une partie de l’esprit de la créature mythique.
L’élève du Nalcien perçut plus son avertissement qu’elle ne l’entendit véritablement. Elle sentait également cette aura belliqueuse qui, à mesure que les secondes passaient, s’approchait d’eux. Mais elle devait d’abord achever sans précipitation son acceptation par ce Dragon-là.

Peut-être l’intervention de son Maître aida à accélérer les choses… Toujours était-il que le Pokémon relâcha petit à petit son étreinte douloureuse, jusqu’à libérer entièrement le membre meurtri de la jeune fille. Elle avait réussi. Elle avait réussi à le convaincre de son honnêteté.
Yûn s’inclina respectueusement devant celui qui la considérait désormais comme une invitée. Il lui sembla même percevoir un subtil changement dans l’atmosphère ambiante. Celle-ci était légèrement moins pesante et suspicieuse envers elle.

Mais elle ne pouvait se reposer sur ses lauriers. La créature était toute proche. Son aura suffit à lui donner une idée suffisamment précise sur la morphologie et surtout son humeur avant même qu’elle n’apparaisse. Ses yeux ne firent que confirmer ce que ses sens plus aguerris grâce à Peter avaient ressenti. Les choses étaient claires : cette fois-ci, c’était un tout autre morceau que ce Dragon isolé.

Le monstre n’avait rien à envier aux créatures terrifiantes qui hantaient les histoires qu’on racontait pour faire peur aux enfants. Il était au moins aussi imposant que Sakeriba. Et même plus, car cette lueur sauvage au fond de ses iris n’avait à obéir à nulle autre contrainte que sa volonté. Au contraire, la Ptéra de son Maître, même si elle faisait peur, demeurait à l’écoute de son partenaire humain.

Yûn ne se faisait pas d’illusions. Elle n’avait d’autre choix que d’affronter cette épreuve en risquant sa vie. Certes, le Champion aux Dragons était présent… Mais, si elle voulait devenir une véritable Dragonnière, elle devait savoir se débrouiller seule face au danger. Disons que le Nalcien était présent en dernier recours… Mais, elle comptait bien le rendre fier d’elle en agissant seule.


[Bon, désolée, ça m'a pris plus de place que prévu. Je fais donc ami-ami avec le Drakkarmin dans le prochain post ^^"]

[Peter]

[Contrainte : changer de narrateur.]

Elle a osé pénétrer sur MON territoire, cette créature à l’odeur étrange. Elle se tient sur deux pattes, comme l’Autre…

Mais Lui, il est différent. Il a attendu d’avoir parlé à chacun d’entre nous, et d’avoir notre accord, à tous, pour entrer dans notre domaine. Je sens un peu de notre essence couler dans Ses veines… Il ressemble à la créature femelle, mais il tient… Du Dragon. Il a réussi à partager son ouïe, son odorat, son goût et son toucher, mille fois inférieurs à mes propres sens… Mais sa vision… Elle est si prodigieuse, elle surpasse de si loin mon monde d’onyx… Comment a-t-il pu… Comment ! Je me sens submergé par un flot de lumière et de couleurs que j’ignore. Tout se mêle et se confond, trouble vortex de sons, d’images et de sentiments. Pourtant, même si je suis désorienté par la présence de notre invité dans mon esprit, je ne suis pas prêt à lâcher l’intruse. Lui, Il a le droit… Pas elle. Je suis sur le point d’enfoncer davantage mes crocs dans sa chair, lorsque je me rends compte que je suis, soudainement, bien plus hésitant. Pourquoi ? Est-ce notre Hôte, celui qui se fond dans l’âme des Dragons, qui nous en fait la requête ? Quelques secondes après, j’entends quelque chose que je ne comprends pas tout de suite résonner en moi, comme si j’avais la capacité de parler et de faire vibrer mes mots au plus profond de mon être.

« Je te vois, et je sais. »

Je me fige, interdit. J’ai l’impression que le simple fait d’entendre nos mots vriller l’air les rend vivants et réels. Puis, alors que je fixe de tous mes sens cet homme-Dragon, une seconde vague de paroles m’envahit, et se répète, à plusieurs reprises. L’intruse que je tiens entre mes crocs tente de communiquer avec moi, elle aussi. Un second mur s’abat en moi, et je me résous à lâcher prise. Si le Dragon à forme humaine parcourt déjà la voie des nôtres, la jeune femelle n’a fait que commencer à l’emprunter… Et si elle n’a qu’une connaissance limitée de ce que nous sommes, elle est tout de même engagée dans l’apprentissage de notre nature… Et l’hybride qui se tient non loin d’elle semble être son compagnon. Alors, j’écarte lentement mes mâchoires, je retire mes crocs de la chair tendre et affolée, petit à petit, pour libérer notre nouvelle hôte… Notre nouvelle… Invitée.

« Bienvenue… Yûn. »

Les lèvres du Dragon Master s’étirèrent en un mince sourire, après avoir permis aux pensées du Solochi de se changer en mots et de les franchir. Il se tourna vers son apprentie, sans même ouvrir les yeux, comme pour la conforter dans l’impression qu’elle avait franchi l’étape nécessaire avec le Pokémon aveugle. Cependant, l’arrivée de l’autre Dragon les détourna bien vite du succès de la Terrosienne, qui allait devoir se faire un ami du Pokémon, et vite, si elle ne voulait pas se faire mettre en pièces aussi déchiquetées que les contours de la bête. Mais Peter ne comptait pas la laisser se frotter à la créature sauvage sans en avoir lui-même évalué les capacités auparavant. Il ne s’agissait pas là de lui mâcher le travail en lui préparant le terrain… Non, il ne fallait y voir là qu’un test pour savoir si oui ou non, la jeune fille aux cheveux d’argent était apte à affronter un tel monstre. Le champion nalcien s’avança vers le Drakkarmin, sans relever les paupières.

« Comment oses-tu m’approcher et venir m’affronter les yeux clos ? Tu es peut-être le bienvenu ici, mais cela ne te donne pas le droit de nous offenser de la sorte… Peter. »

Le Dragon à la tête écarlate fixa l’humain de ses yeux dorés, où la fureur était bien mal dissimulée. Il avait pu s’exprimer directement dans l’esprit de la créature fragile à ses yeux, mais qui avait au moins le mérite de posséder certaines de leurs caractéristiques. Cependant, il n’était pas prêt à se jeter sur le fils de l’Eternarien des Cieux qui, malgré son « arrogance », avait été accepté parmi eux. Il ne pouvait pas en dire autant pour la jeune humaine qui l’accompagnait. Elle avait pénétré dans la cavité aux mille chemins sans en avoir reçu l’autorisation, et il savait que Peter avait fait en sorte que sa rencontre avec les siens soit une épreuve pour elle. Eh bien, soit… Il allait la tester. Et bien. Il plongea son regard dans celui, aveugle, de son hôte, sentant par la même occasion la présence de son compagnon Solochi. Trois volontés, trois esprits forts et fiers luttaient en lui, mais ils étaient tous si différents que le champion du Temple de l’Air Boréal ne risquait pas de s’y perdre. La première âme était jeune, franche, et dotée d’une force de caractère étonnante pour son âge : la cécité l’avait aguerrie, sans doute. La seconde, ardente, débordante, pleine de fougue et de vigueur, avait finalement accepté le « défi » du Dragon Master… Dont l’essence, la troisième, se maintenait droite, calme, sereine, mais alerte. Un silence s’installa, puis fut rompu lorsque la couleur pénétra de nouveau dans les pupilles quasi bestiales de Peter. Ce dernier, d’un geste ample de la main, invita son apprentie à avancer vers lui, puis à s’approcher du Pokémon sauvage, tandis que le Solochi, désormais apaisé, se tenait tout près de sa jambe droite.

« Il affirme vouloir te mettre à l’épreuve. Je t’en prie… Confronte ta volonté à la sienne. C’est un grand honneur qu’il te fait là, alors ne rate pas cette occasion d’enrichir ton champ de savoir. Viens. »

Le maître scruta attentivement le visage de sa disciple, d’un air calme et confiant, mais sans un sourire ou un clin d’œil qui auraient pu rassurer la jeune femme. Il était là, prêt à lui venir en aide si quelque chose tournait mal… Mais c’était le test de la Terrosienne… Pas le sien.

[Yûn]

Les paroles du Dragon Master sonnèrent comme un signal de départ aux oreilles de la Terrosienne. Celle-ci s’avança lentement vers le monstre, alors que du sang s’écoulait toujours en abondance de son bras, et s’arrêta à une distance raisonnable. Ainsi, elle n’empiétait pas sur l’espace vital du Dragon aux couleurs primaires, mais disposerait d’un champ d’action suffisant pour accomplir son exercice.

De près, la créature mythique était encore plus impressionnante. Malgré les quelques mètres qui les séparaient, Yûn sentait sans peine l’odeur forte qui se dégageait de lui. Ses yeux de braise brillaient d’un éclat surprenant au vu de l’obscurité. Ses écailles présentaient des traces de combat, mais il semblait que le moindre contact avec elles pouvaient provoquer des blessures.

Pourtant… En dépit de tout cela, la jeune fille n’avait pas peur.
Ou plutôt, c’était un sentiment étrange qui l’envahissait. Certes, elle devait toujours contrôler les battements de son cœur, afin d’éviter que celui-ci ne s’emballe. Mais, contrairement à d’autres fois, ce n’était nullement la crainte qui était la cause de ce changement de cadence. C’était quelque chose qu’elle identifia comme étant de l’excitation. Elle avait l’impression que, même si cette créature était des plus imposantes, le convaincre de l’accepter était à sa portée.
Comment ? Peut-être que son premier succès l’avait ragaillardie ? Ou alors, peut-être parce que l’atmosphère lui était moins néfaste ? Ou encore, parce qu’elle avait accompli la première étape avec le Solochi, le premier pas, toujours considéré comme étant le plus dur ?
Peut-être s’agissait-il de tout cela à la fois. En tout cas, une chose était claire dans l’esprit de l’apprentie du Dragon Master. Quelque chose en elle avait changé.

C’est dans cet état d’esprit qu’elle fit face au monstre, et qu’elle débuta l’exercice.

La première chose qu’elle effectua fut d’adopter une attitude respectueuse mais néanmoins non soumise envers le Dragon. Puis, elle fit en sorte que cette impression imprègne la moindre cellule de son corps, la plus infime et anodine de ses pensées.
Une fois assurée qu’elle avait la parfaite maîtrise de son corps et de ses émotions, elle projeta ce qui pouvait être considéré comme son aura en direction de son adversaire, pour lui transmettre son sentiment.
Cependant, ce dernier avait fait de même, et elle se retrouva confrontée à une sorte de mur invisible. Sauf qu’elle était capable de déchiffrer cette paroi. Elle y lisait le mépris de la créature à son égard, misérable insecte qu’elle était, mais aussi la colère de voir ce domaine violé impunément par des étrangers. Yûn tenta bien entendu de renforcer encore son esprit, en vain. Elle avait beau essayer, l’aura du monstre ne faiblissait pas.

Le doute la saisit alors. Un instant. Une fraction de seconde pendant laquelle elle se demanda si elle ne s’était pas surestimée… Et cela se ressentit sur la projection de son âme.
Sa volonté fragilisée, celle du Drakkarmin s’empressa de la repousser. La Terrosienne, qui s’était repris, voulut amoindrir l’assaut, le stopper. Peine perdue, elle ne faisait que le ralentir. Mais rien ne semblait pouvoir arrêter l’aura du Dragon dans sa course. Petit à petit, elle gagnait du terrain sur celle de Yûn, la faisant toujours plus reculer, dans l’objectif de la faire disparaître complètement et d’englober l’humaine. Or, cette dernière le sentait : si cela venait à se produire, cela serait le signe qu’elle n’était pas digne non seulement de ce Pokémon, mais de tous les autres habitants de la Caverne. De ce fait, il n’aurait aucun scrupule à se jeter sur elle pour la déchiqueter, n’en déplaise au Dragon Master.
Mais elle avait beau se démener, il n’y avait rien à faire. Une larme de rage coula le long de son visage figé par la concentration. Encore une fois, elle était impuissante. Et ce serait la fois de trop, parti comme c’était… Dans ce cas, elle ferait en sorte de se battre jusqu’au bout. Pour au moins montrer à son mentor qu’elle n’avait pas abandonné.

Alors que l’aura du Drakkarmin était aux portes de son espace vital, Yûn sentit quelque chose qui s’immisça dans son esprit. D’abord, ce ne fut qu’un point, une légère intrusion. Mais cela grandit bien vite. Cependant ce n’était pas l’onde nocive de son adversaire. Si elle devait le décrire, elle aurait dit qu’il s’agissait d’une douce chaleur amicale, et qui pourtant, elle le percevait très nettement, était combattive. Oui, cette aura avait envie de se battre avec elle contre le monstre.
Celle d’Uroko. Elle l’aurait reconnue entre mille.

Néanmoins, elle ne la ressentait pas comme avant, en simple effleurement de son esprit et sur sa peau. La seule chose à laquelle elle aurait pu le comparer, c’était lors des exercices où elle entrait en contact avec son Drattak. Mais même là, cela n’avait jamais été aussi poussé.
Car là, contrairement aux fois précédentes, ce n’était pas elle qui avait sollicité l’aide de l’hybride. C’était lui qui avait agi de son propre chef.
Yûn avait l’impression que ses sens s’aiguisaient, que sa perception entière changeait. En même temps, il lui sembla que son Dragon se matérialisait dans sa tête.
Elle comprit véritablement le phénomène lorsque la vision de son œil droit se modifia, pour lui offrir une image où on la voyait elle, de dos, face au monstre.

Uroko lui avait fait don de sa volonté, pour l’épauler dans ce combat invisible.

« Je suis toi et tu es moi. » S’entendit-elle murmurer, sa voix et le ton rauque de son partenaire ailé mélangés dans une harmonie quasi parfaite.

Alors, les choses changèrent du tout au tout. L’aura du Drattak enveloppa la sienne, avant de fusionner sans heurts avec elle. Sa détermination était désormais comme décuplée. Puis, ensemble, ils partirent à la reconquête du terrain perdu.

Ils parvinrent tout d’abord à ralentir considérablement l’avancée de la projection de pensée de la créature aux couleurs primaires, jusqu’à stabiliser la situation. Pas pour longtemps.
Leur volonté fusionnée exerçait une forte pression sur le mur impalpable. Jusqu’au point de rupture. L’aura du Drakkarmin recula de façon presque imperceptible, et s’immobilisa une nouvelle fois. Il n’en fallait pas plus pour affermir encore la détermination de Yûn. Le plus dur était passé. Ils étaient parvenus à le faire plier.

La suite lui donna raison. Le monstre céda une nouvelle fois, pendant un peu plus longtemps. Et ainsi de suite. A chaque assaut, la volonté du Dragon sauvage reculait davantage. Jusqu’à atteindre les limites de son espace vital. Toute sa résolution se concentra alors sur ce point, pour défendre sa forteresse invisible.

En vain.

Au bout de plusieurs minutes d’un combat silencieux, Uroko et Yûn percèrent une brèche dans la muraille spirituelle. Toute leur volonté se déversa alors, emplissant ce qui ressemblait à une coquille vide.
Le duo patienta quelques instants, puis l’hybride se retira précautionneusement de l’esprit de sa protégée. Son aura seule devait achever l’exercice, mais il s’assurerait qu’elle ne perde pas le contrôle.
Finalement, la présence du Drattak disparut totalement de la volonté de la jeune fille. Pourtant, cette dernière avait toujours sa projection de pensée qui englobait son adversaire. Et celui-ci n’avait aucune réaction de défense ou d’attaque.
Yûn laissa la situation ainsi pendant quelques secondes. Enfin, elle dissipa doucement son emprise spirituelle. Le Drakkarmin la regardait toujours. Mais quelque chose avait changé dans son regard. Il n’était plus hostile.
Elle avait réussi.

Epuisée par cet affrontement hors du commun, le souffle court, la disciple du Dragon Master s’inclina néanmoins respectueusement, pour remercier son adversaire. Elle ne pouvait se permettre d’oublier cela, cela aurait été une profonde marque de mépris et d’humiliation.

[Peter]

Répondant à l’appel, Yûn avança vers le Drakkarmin, le « salua » avec respect, et entreprit d’exécuter ce que son maître lui avait demandé de faire. En silence, le maître croisa les bras, se préparant à assister à la confrontation.

L’attitude de départ de la Terrosienne était la bonne, et le Dragon Master approuva. Le plus important, lorsqu’on rencontrait l’une de ces créatures de légende, c’était de prouver d’entrée de jeu que l’on ne lui était ni supérieur, ni soumis. Ainsi, l’orgueil du Pokémon n’était pas blessé, et son désir naturel de domination diminué. Cependant, la jeune femme se heurta à un souci de taille, à savoir la propre projection de volonté du Dragon déchiqueté, ce qui fit naître en elle un léger doute… Doute que la bête mit à profit pour renforcer sa conviction, prenant ainsi le dessus sur l’humaine.

Pourtant, Peter ne dit rien, laissant son apprentie se débrouiller seule pour le moment. C’était probablement la première fois qu’elle se faisait submerger de la sorte par un Dragon, puisqu’elle avait un contrôle minimum sur celui qui l’accompagnait au quotidien. Celui-là, en revanche, était totalement sauvage, libre de ses actions, et sa force d’esprit, brute comme un roc, repoussait aisément la volonté de la pauvre élève du Nalcien. Mais ce dernier, malgré la larme de rage qui venait de dévaler la joue de la jeune femme, ne bougea pas, préférant reporter son regard acajou sur Uroko. En effet, le Dragon Master ne pouvait pas croire que l’hybride allait rester là, à observer mollement « sa » Yûn se faire mentalement massacrer. Et les paroles au ton à la fois doux et rauque que prononça la Terrosienne confirmèrent son hypothèse.

En hochant la tête, l’homme posa désormais son regard sur la créature sauvage, qui entama une lutte âpre pour défendre chèrement son espace vital et son honneur. Juste avant la victoire du binôme, Peter jeta un œil à son élève, qui affichait une détermination sans faille, puis à son Pokémon, qui avait une expression similaire. Et au moment de la « rupture », les iris acajou du Dragon Master se tournèrent vers la créature. Quelques instants s’écoulèrent encore, pendant lesquels Uroko se retira lentement de l’aura de Yûn. Celle-ci, après avoir réussi l’exercice, s’inclina profondément devant le Dragon, dernière étape cruciale qui lui avait sûrement évité une furie vengeresse d’un Pokémon noble dont l’honneur de vaincu aurait été bafoué. Le Drakkarmin poussa un rugissement puissant, qui fit vibrer les parois de l’antre. Après un sourire à sa disciple, Peter s’avança alors vers la créature, puis posa une main assurée, mais respectueuse sur le bout de sa gueule. Apaisée, la bête ferma les yeux en grondant doucement, puis fit volte-face pour disparaître dans les profondeurs de la Caverne. Le maître se tourna ensuite vers son élève, puis lui sourit.

« Bravo. Tu as gagné sa confiance, et le privilège de découvrir un Dragon que ni toi, ni moi n’avons jamais vu. D’ailleurs… Le voilà. »

Comme pour appuyer ses paroles, un petit Pokémon vert, dont la mâchoire était traversée de part et d’autre par un croc séparé en deux, accourut vers eux, tout excité, puis s’arrêta devant l’homme qui était l’invité des habitants du lieu. Il le fixa de ses grands yeux, puis se précipita devant Yûn, la dévisageant d’un air curieux et intéressé.

« Le Dragon dont tu as gagné le respect était un Drakkarmin, et celui-ci est un Coupenotte. Il est très jeune, obtenir de lui autre chose que de l’intérêt pour ce qui l’amuse ou l’intrigue est donc difficile. Mais il reste néanmoins un Dragon… Et si affronter un Dragon adulte et puissant est loin d’être une tâche aisée, arriver à capter l’attention d’un petit est aussi un petit exploit en soi… C’est à toi, Yûn. Prends le temps de te reposer avant de te lancer, car il risque de te donner du fil à retordre. Si tu réussis, considère que tu auras triomphé de l’épreuve. »

[Yûn]

Yûn remercia son mentor du regard, pour le répit qu’il lui accordait. Elle n’avait même plus suffisamment de souffle pour répondre avec des mots.
Ce combat mental contre le Drakkarmin –si tel était bien son nom- l’avait véritablement épuisée. Bien plus que lorsqu’elle avait dû affronter la créature d’abysse et d’encre, alors qu’il s’était agi d’une lutte beaucoup plus physique. Cette fois-ci, elle avait vraiment pu se rendre compte que, comme le lui avait expliqué Uroko, les Dragons n’étaient pas que des créatures dotées d’une force physique exceptionnelle. Leur volonté était également une arme redoutable, faisant d’eux des êtres quasi spirituels.

Légèrement penchée en avant afin de récupérer plus rapidement et de stabiliser sa respiration, la jeune Terrosienne mit cependant ce temps de repos à profit. Ses prunelles grises fixées sur le nouveau venu, elle l’observait attentivement.
Le Dragon Master avait bien entendu raison : elle le sentait, le petit être ne devait pas être âgé de plus de quelques semaines. Une durée de vie ridiculement faible, en comparaison à leur existence parfois plusieurs fois séculaires. En revanche, tout comme Uroko du temps où il n’était encore qu’un Draby, le Dragonneau était né avec déjà de quoi se défendre contre d’éventuels agresseurs. Mais, si son partenaire avait obtenu une carapace qui, au fur et à mesure, s’était renforcée afin de prévenir une évolution plus conséquente, à la manière d’un papillon s’extirpant de son cocon protecteur, le Coupenotte paraissait bien plus axé sur l’attaque. En témoignaient les deux lames, certes encore courtes mais néanmoins bien affûtées et possiblement dangereuses, qui se posaient en vigiles de la bouche fragile de cet être encore chétif.
Pourtant, tout jeune qu’il fut, il était bien plus Dragon qu’elle ne le serait jamais.

L’apprentie Dragonnière se redressa, et continua son étude de l’être mythique, les yeux plissés. Parvenir à capter son attention, hum ? Elle remarqua que, pour le moment, cela semblait être relativement le cas. Le Dragonneau la regardait avec de grands yeux éclatants de curiosité. Sa tête était penchée sur le côté, lui conférant une adorable petite bouille.
Il y avait cependant fort à parier que cet intérêt qu’il lui portait pour le moment ne durerait pas bien longtemps. Elle savait que les jeunes enfants, qu’ils soient humains ou Pokémon, s’écartaient très vite de quelque chose qui les fascinait un instant auparavant. Ils avaient du mal à se concentrer longuement. Yûn allait donc devoir relever ce défi. Bon, au moins, il semblait qu’elle risquait beaucoup moins, physiquement, que lors de ses deux exercices précédents. Même si elle allait tout de même rester vigilante. Le Coupenotte n’avait probablement pas encore conscience de sa force et qu’il pouvait blesser quelqu’un.
La jeune fille à la chevelure de Lune demeura pensive durant quelques instants, réfléchissant à la manière qui lui permettrait de s’acquitter de cette tâche. Heureusement, elle n’avait pas de contrainte de temps. Mais il était hors de question pour elle de faire attendre son mentor.

Soudain, une idée germa dans son esprit. Suivant son instinct, elle tenta de la développer mentalement, d’imaginer les différents possibles. Finalement, elle conclut qu’il y avait deux scénarios qui pouvaient se dessiner. Deux possibilités opposées. Et autant l’une que l’autre avait des chances de se réaliser.
Devait-elle vraiment tenter cela ? Elle pouvait très bien échouer… Mais aucun autre plan ne se dessinait dans sa tête. Autant mettre celui-ci en pratique.

Yûn s’avança de quelques pas en direction de son ‘objet d’étude’, puis s’immobilisa. Elle le regarda un instant, en soutenant ses iris curieux. Et, contre toute attente… S’assit en tailleur, à même le sol, et ferma les yeux.
Elle commença d’abord à ne se concentrer que sur elle-même et son aura, en faisant abstraction de tout ce qui l’entourait. Notamment en ignorant ses sens, un à un. Le voile de peau sur ses yeux condamna ces derniers à une nuit profonde et pure. La pierre dure sur laquelle elle reposait et le froid de la Caverne cessèrent de tourmenter son toucher. Son odorat se ferma à toute senteur externe. Un silence dépourvu de tout parasite prit place dans les pavillons de ses oreilles. Même sa langue ne lui transmettait plus le goût de sa propre salive.
Voilà qui était fait. Désormais, elle ne percevait plus que deux choses. Sa propre pensée et les battements réguliers de son cœur. Elle mit de l’ordre dans les deux, afin de se forger son aura. Mais, cette projection de son âme serait totalement différente des exercices précédents. Pour le Solochi, elle avait montré sa générosité. Pour le Drakkarmin, elle avait dû prouver sa volonté. Mais, pour ce jeune être, elle allait mettre en avant sa différence.
La jeune Terrosienne s’affaira donc à donner un aspect attirant car insolite à son aura. Cependant, elle ne voulait pas que cette différence soit interprétée comme une menace. Elle ajouta donc une part de bienveillance, assez importante pour atténuer toute velléité –du moins l’espérait-elle-, mais suffisamment ténue pour éviter qu’elle n’annihile l’effet premier recherché.

Après quelques instants d’élaboration, Yûn avait son appât mental à disposition. Il ne restait plus qu’à tendre le piège, et attendre que le Dragon se laisse engluer.

La disciple du Champion aux Dragons réactiva ses sens un à un. D’abord le goût. Puis l’ouïe, l’odorat et le toucher. En revanche, elle conserva ses yeux clos.
Les sensations lui parvinrent alors avec une intensité inédite. Elle voyait sans les voir les êtres devant elle. Son Maître, qui observait chacun de ses faits et gestes. Uroko, qui lui aussi la considérait, avec une pointe d’inquiétude et d’interrogation concernant sa façon de faire. Le premier habitant de la Caverne qu’elle avait rencontré, et qui l’avait acceptée. Et, enfin, son nouvel adversaire.
C’est sur lui qu’elle focalisa ses sens, en ignorant une nouvelle fois le reste de son environnement. Puis, elle déploya sa toile invisible. Maintenant… Restait à savoir si le Coupenotte résisterait ou non à cet envoûtement.

Elle percevait du mouvement, autour d’elle. Le Dragonneau s’était probablement rapproché. Etait-ce dû à son filet mental, ou bien une innocente curiosité pour une créature complètement différente ? Dans un cas comme dans l’autre, le résultat la satisferait.
Un petit grognement se fit entendre. Soudain, elle sentit un choc dans le dos. Les muscles de son visage se crispèrent, mais elle ne broncha pas davantage. Il la testait. Il était en train de tester ce qu’il devait considérer comme un nouveau jouet, bien étrange.
Un petit moment passa, sans que rien d’autre n’arrive. Ou plutôt… Elle sentait de l’étonnement dans l’aura de la jeune créature. Peut-être n’avait-il pas l’habitude que l’on ne réagisse pas à ses tours ?
Un autre coup survint, qui ébranla une nouvelle fois son corps. Puis un autre. Et encore un. Mais à chaque fois, Yûn demeurait stoïque, sa projection d’âme ne variait pas. Et à chaque fois, elle sentait l’étonnement du Dragonneau grandir, pour faire place à de la frustration et du désarroi. Pourquoi ? Pourquoi, pourquoi, pourquoi ne voulait-elle pas jouer avec lui ? Pourquoi est-ce qu’elle ne bougeait pas ? Elle n’était pas drôle ! Il voulait s’amuser avec elle, lui !

Au bout d’un moment, la jeune fille à la chevelure de Lune sentit qu’il était temps de mettre un terme aux interrogations de la petite bestiole. Son plan avait fonctionné. Elle avait craint que le Coupenotte ne se lasse et se détourne d’elle. Mais elle était parvenue à piquer sa curiosité, à l’alimenter sans pour autant la satisfaire. Quoi de plus frustrant, alors ? La petite créature s’était laissé prendre.
Yûn ouvrit doucement les yeux, et les posa sur son adversaire. Il semblait au bord des larmes, et couinait doucement. En voyant qu’elle bougeait, il se précipita sur elle, et appuya sa tête contre sa cuisse. Alors, toujours sans geste brusque, l’apprentie du Dragon Master caressa les écailles aux différentes nuances de vert de l’enfant, en le couvant d’un regard attendri, un léger sourire bienveillant sur les lèvres. Le Dragonneau la regarda avec reconnaissance. Puis, avisant le sang qui coulait toujours un peu de sa plaie au bras, il commença à la nettoyer à coups de langue râpeuse.

Voilà. Elle avait réussi.

La Terrosienne releva légèrement le visage vers son Maître, attendant son approbation quant à l’accomplissement de l’exercice imposé.

« J’espère avoir comblé vos attentes, Sensei. »

[Peter]

La Terrosienne semblait réellement épuisée, et Peter la comprenait. Le Drakkarmin était sans doute sa première véritable épreuve de volonté, puisqu’elle connaissait Uroko depuis un moment, semblait-il, et puisque Sunagon était douce et facile à vivre. Le Dragon Master savait qu’elle ne pourrait pas enchaîner sur un autre affrontement de cette sorte, et il avait silencieusement demandé au Dragon désormais apaisé de lui présenter un camarade plus posé et moins sauvage… Ce que la créature avait fait. Alors, à présent, Peter attendait, sans bouger, que son élève se décide à trouver une façon de susciter l’intérêt du nouveau venu.

Le champion la vit d’abord un peu perplexe devant le petit Coupenotte, avant de constater qu’un déclic semblait s’être opéré en elle. Un changement à peine perceptible, mais qui signifiait qu’elle devait avoir une idée en tête. Et puis elle s’assit en tailleur, à même le sol, et Peter ne fut plus en mesure de capter quoi que ce soit durant quelques secondes. Yûn venait de « déconnecter » ses sens avec son environnement, dans le but, sans doute, de se recentrer sur ce qu’elle voulait accomplir pour attirer l’attention du Coupenotte. Les yeux clos, elle effectua la manœuvre en sens inverse, en remettant en service chacun de ses détecteurs sensoriels. De nouveau, l’aura de la Terrosienne fut déchiffrable, et le Nalcien y sentit une pointe de bienveillance, qui teintait légèrement quelque chose qui se voulait inédit. Pourquoi pas. Après tout, si de nombreux humains, stupides qu’ils étaient, rejetaient l’inconnu, par peur ou par haine, les Pokémon, au moins, avaient le mérite de préférer s’intéresser aux différences qui rendaient le monde bigarré et riche. Et les Dragons, qu’ils soient à peine sortis de leur coquille, ou déjà marqué par les épreuves que la vie et le temps infligeaient à tout être, avaient pour particularité de pouvoir percevoir leur environnement avec une précision et une compréhension qui dépassaient de loin ce dont était capables les autres espèces, sans pour autant surpasser les Pokémon légendaires, dont les pouvoirs étaient inégalés.

Confiant, le Dragon Master observa le manège du Coupenotte (ou bien de Yûn, vu le piège qu’elle tendait au Dragonnet…), et fronça les sourcils quand la créature fonça sur l’humaine, lui donnant un coup dans le dos pour tenter de la déstabiliser. D’autres suivirent, sans réaction de la part de la Terrosienne. Subtilement, le désarroi envahit le Coupenotte, qui fixait la disciple de Peter d’un air dépité. L’élève était à deux doigts d’échouer et de laisser son adversaire repartir, désintéressé… Mais le Nalcien avait confiance. Elle saurait détecter la petite brèche, et s’y engouffrer, pour saisir sa chance. Et finalement, quand elle ouvrit les yeux, le petit Pokémon se jeta sur elle, prolongeant le couinement qui s’était échappé de sa gueule déjà bien armée. Elle le caressa, puis se laissa faire quand il entreprit de lécher sa plaie.

Un sourire bienveillant accroché à ses lèvres, le champion du Temple avança, le Solochi sur les talons, puis attendit patiemment que le bébé Dragon ait fini son travail. Enfin, il le saisit doucement, puis le laissa se blottir quelques secondes dans ses bras puissants (le Coupenotte s’y était logé, trouvant sans doute une vague ressemblance avec son père) avant de le poser en douceur sur le sol et de le laisser partir en courant. Mais quand il avisa la blessure trempée de salive, il passa une main dans son dos, vers sa ceinture, cherchant probablement… Un bandage, qu’il appliqua avec lenteur sur le bras, en l’enroulant tout autour. Il se releva ensuite pour tendre la main vers sa disciple afin de l’inviter à se relever à son tour, avec son aide.

« Bien sûr. Félicitations, Yûn. Il nous faut partir, maintenant, pour ne pas troubler davantage les habitants de l'antre de Felagund. »

D’un pas assuré, le champion reprit le chemin inverse, vers la sortie de la Caverne, non sans avoir dévié, sur son chemin, un pic rocheux qui avait eu pour intention de leur tomber dessus, puis appela Kairyuu et Sunagon, avant d’enfourcher la bête orangée et de quitter les lieux.

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