[ Clos ] Les pensées d'un monstre. [Contrainte - Solo]

[Elvira Greyhunt]

Les pensées d'un monstre.

Contrainte/Solo

Contrainte n’11 : Changer de narrateur.

Le soleil tape fort sur notre peau. Je le vois dorer lentement ta peau de neige. Du haut de mon perchoir, je t'observe t'amuser avec ce poisson à la robe aux tons de bleu et de rose. Je vois bien que l'Écayon s'amuse à te divertir en t'attirant toujours un peu plus dans l'eau claire du bassin de l'oasis. Pourtant, je ne suis pas heureux, j'ai simplement envie de faire des rondelles de chairs claires. Je suis sûr qu'il ferait un très bon repas, mais toi, tu t'amuses et le son de ton rire est une mélodie à mes oreilles d'ordinaire sourdes. Je suis jaloux de le voir si proche de toi, mais content à la fois de te voir rire et jouer dans l'eau avec lui. De manière agressive, je chasse un Axoloto trop curieux à mon goût et ramène mon attention sur toi. Malgré la noirceur qui recouvre tout, tu brilles, et ceci me rend un peu plus heureux. Je sais qu'à tes yeux l'oasis est d'une beauté extravagante, son charme n'a aucun autre effet sur moi que celui de m'irriter. Je n'entends même pas la mélodie qu'offre le vent qui fait danser les fleurs, ni même les clapotis de l'eau, ni même encore les insectes qui chantent.

Tu crois savoir ce que je suis. Je sais très bien que tu essayes de me comprendre et de m'accepter comme je suis, mais je suis un monstre, de ceux dont tu ne devrais pas t'occuper. Depuis que je suis tout jeune, je ne sais faire qu'une chose, et c'est tuer. Tu ignores complètement dans quel genre de problèmes que tu t'es embarquée en me prenant sous ton aile. Je suis un monstre de la pire espèce, une âme perdue, offerte au chaos de ce monde. Toi, petite fille que tu es à mes yeux, tu ne connais rien de mon malheur, et encore moins de ce qui m'a rendu ainsi. Oui, toi, qui n'es encore qu'une fillette à mes yeux, une petite chose précieuse à protéger quoi qu'il arrive. Tu es mon espoir, mon regret, mon humanité, ma vie. Tu es tout ce qui me reste et ce que je désire. Je suis un être fait pour le combat, fait pour tuer à ta place. Tu n'as pas à te salir les mains sur ces êtres répugnants. Laisse-moi faire le travail. Tu n'as pas à lever une arme contre eux, je suis là pour ça. J'exterminerai chacune de tes cibles, tu n'auras pas besoin de faire le moindre signe. Un simple regard suffira pour que je mette fin à tout ceci. Tu es mon ange et je serai ta lame. Je ne vis que pour tuer sous tes ordres.

J'aimerais te dire à quel point tu es le centre de mon univers, que tu es la seule chose dont j'ai besoin, mais mes paroles sont incapables de franchir ma gorge ravagée. Mon regard ne peut partager tout l'amour que je te porte, beaucoup trop terne et sans vie. J'aimerais te prendre contre moi pour te réconforter la nuit, mais j'ai peur de te blesser, de tout simplement te presser contre mon corps d'hérétique. J'aimerais pouvoir faire plus, t'offrir tout l'or du monde, mais je ne sais pas comment faire autrement qu'en tuant tes ennemis. Je voudrais t'offrir les réponses à tes questions, répondre à chacune des interrogations que tu as envers moi. Te dire quel genre d'histoire j'ai eue, te décrire à quel point j'ai été torturé physiquement. Je pourrais t'expliquer pendant des heures comment il s'y est pris. Je pourrais t'expliquer comment j'ai eu telle marque avec quelle arme ou instrument. Par contre, je ne pourrais pas t'expliquer comment il s'y est pris pour détruire mon esprit. Cet esprit même qu'il a tordu, que tu chéris tant et que tu essayes de comprendre.

Je pourrais également te décrir comment je vois le monde, comment j'aperçois les couleurs et les formes. À vrai dire, j'aurais peu à dire. Tout m'est offert dans des tons de rouge, sans forme réellement distincte. Que ce soient des hommes ou même des femmes, je ne fais aucune différence. Ils n'ont pas de visage, aucun trait qui ne les rend différents l'uns de l'autres, ils ne sont rien d'autre à mes yeux que des sacs de viande. Mais toi, petit ange, ma précieuse, tu es différente. Je te vois comme tu es, une lumière éclatante à la chevelure de flamme. À mes yeux, tu brilles de mille feux, tu éteins les autres de par ta seule présence. Les autres ne sont que poussières et toi, brillance. Je sens ton odeur parmi celle des autres, je pourrais te trouver sans la moindre difficulté à travers une foule. Je te suivrai où que tu ailles, je serai ton ombre. Je demande très peu en échange de tout ceci, tu m'offres déjà beaucoup, mais je ne te demanderai qu'une seule chose. Reste comme tu es, ne change rien de ce que tu es, et offre-moi toujours cette même attention.

Je vois enfin ton regard se tourner vers moi et j'entends le son de ta voix qui m'interpelle. Prononce-le encore, je veux l'entendre une nouvelle fois, le son de ta voix qui dit mon nom. Je pose mon regard terne et sans vie sur toi, et il s'illumine quand je t'entends le prononcer une nouvelle fois. Tu tends la main vers moi, celle qui est tatouée, je pourrais la reconnaître partout. Je ne prête pas attention aux paroles que tu prononces, mais toi, tu as toute mon attention. Je finis par sauter de mon perchoir pour atterrir sur le sable chaud qui brûle la plante de mes pieds. Je m'approche de toi et tends l'une de mes lames que tu viens caresser du bout de tes doigts. Je frissonne de plaisir malgré la chaleur étouffante. Tu m'invites à pénétrer dans l'eau, et je m'y glisse jusqu'aux cuisses. Cette journée s'annonce chaude et longue, mais je sais que je serai heureux à tes côtés.    

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