[ Clos ] False news travel fast [Solo/Contrainte]

[Edward Harris]

Contrainte n°11 : changer de narrateur

C'était une bonne journée. Pas une belle journée, vu qu'on avait droit depuis ce matin au crachin océanique typique de la saison – et que j'avais malencontreusement aperçu Mme Lafrange, ma logeuse, alors qu'elle sortait de la baignoire, un spectacle que je ne recommande sous aucun prétexte – mais une bonne journée, ça oui. Je tenais le scoop du siècle ! Enfin de l'année… Du mois… Au moins de la semaine, en tous cas. Il y avait eu un meurtre ! Oui bon, dit comme ça, ça pouvait sembler un peu banal. Dans une ville abritant une telle quantité de marins ivres de toutes nationalités, des meurtres, on en avait treize à la douzaine. Mais là c'était un meurtre inexpliqué ! Et apparemment, la victime n'était pas un marin. Ca, c'était un mystère pour Quentin Lahune et le Terrosien Libéré !

Je me rendais donc sur les lieux du crime, en pataugeant dans la boue, accompagné de mon fidèle Kodak, le Queulorior qui s'occupait de peindre rapidement les illustrations qui servaient à illustrer les nouvelles que j'écrivais. Malheureusement pour nous, la milice de la ville était déjà sur les lieux lorsque j'arrivai enfin. Ils avaient déjà recouvert le corps d'un drap et passaient au peigne fin la scène du crime, sans doute dans l'espoir de trouver des indices. Un type à la mine patibulaire m'arrêta alors que j'essayais de m'approcher.

_ Hop là jeune homme, on ne va pas par là, scène de crime !

_ Oui, oui, je sais, c'est pour ça que je suis là, c'est pour le Terrosien Libéré, est-ce que vous pouvez me dire ce qui s'est passé exactement ?

_ Ah, j'ai entendu parler de vous, vous êtes le type qui écrit ce qui se passe et qui vend son papier un peu partout là, euh… Tint…

_ NON ! NON NON NON ! AAAAAH ! J'EN AI MARRE DE CE SURNOM POURRI ! MON PRENOM C'EST QUENTIN ! QUENTIN LAHUNE ! ET LUI C'EST KODAK ! PAS MILOU OU JE SAIS PAS QUOI ! MERDE !

_ Ohlala, faut vous calmer mon vieux, c'est pas bon pour le coeur de s'exciter comme ça…

_ JE SUIS CALME !

Non. C'était pas de ma faute, j'ai jamais pu supporter ce surnom. Je le traînais depuis tout petit, la faute à mes frères, et le pire c'est qu'il me suivait partout. En arrivant à Palma je m'étais dit « C'est bon mon petit Quentin, ici personne ne te connaît, fini les surnoms débiles ! ». Grossière erreur. A peine trois semaines après mon arrivée ici, tout le monde m'appelait Tin… Argh, rien que d'y penser ça me mettait en rogne.

_ Ok, ok, très bien. Désolé, hein.

Il aurait quand même pu s'abstenir de lever les yeux au ciel et de me regarder comme si j'étais fou, en s'excusant. Enfin bon.

_ Oui, bon, hein. Dooooooonc… Je peux…

_ Non. Toujours une scène de crime. Toujours rien à faire ici. Allez, circulez, monsieur Tint… Lahune.

Il était passé pas loin de la correctionnelle, c'est moi qui vous le dis. J'étais coincé, donc, mais je n'allais pas m'avouer vaincu aussi rapidement. Il me restait mon Arme Ultime.

_ Euh… Vous marquez quoi dans votre petit carnet, me demanda-t-il, soupçonneux.

_ Eh ben j'écris que vous avez refusé de me laisser voir la scène de crime. Les lecteurs ne seront pas contents d'apprendre que leur milice cherche à leur cacher des choses…

_ Hein ? Que… Je… Vous n'avez pas le droit d'écrire ça !

_ Ah… Bon… Je peux écrire que vous m'avez empêché de l'écrire ?

_ Quoi ? Non !

_ Ou écrire que vous m'avez empêché d'écrire que vous m'avez empêché de…

_ Ok, ok, ok, stop. Vous me filez mal au crâne. Je peux pas vous laisser mettre les pieds sur les lieux du crime, mais je peux vous donner quelques informations. Je ne crois pas que ça dérangera qui que ce soit de toute manière.

Et voilà ! L'Arme Ultime du journaliste en quête de liberté face aux représentants de l'autorité policière : un papier, un crayon, et un peu de persévérance. Ces gens là n'aimaient vraiment pas qu'on écrive ce qu'ils disaient.

_ Merci, répondis-je avec un grand sourire.

Bon, par où est-ce que je devais commencer ? Qu'est-ce que les gens ont envie de savoir ?

_ Euh… Est-ce qu'on connaît l'identité de la victime ?

_ Pas vraiment. Pas du coin, Flamenois. L'a pas donné son nom en réservant son auberge.

C'était gênant ça. Les gens aimaient les noms. Ca les concernait. C'était concernant. Voilà.

_ Zut. Zut zut zut. Et la cause de la mort ?

_ Gorge tranchée. Net et précis.

Une gorge tranchée… C'était un peu banal, quand même. Si seulement Kodak avait pu prendre le cadavre en peinture, avec tout le sang et tout, là ça aurait fait du sensationnel, mais le milicien ne le laisserait jamais faire… Décidément, le business de l'information était impitoyable…

_ Et le tueur ?

_ Pas de témoin, pas de traces… On a retrouvé d'importantes quantités de spores de Pokémon plante un peu partout par terre mais…

_ Vous voulez dire qu'il aurait été assassiné par un Pokémon plante ?

_ Hein ? Je…

_ Remarquez, peut-être qu'avec une attaque Lame-Feuille on…

_ Mais non ! C'est absurde enfin !

Absurde ? Est-ce que c'était vraiment si absurde que ça, ou est-ce que c'était justement ce qu'il voulait me faire croire ? On nous cachait des choses, j'en étais convaincu.

_ Bon, bon, très bien… Dites, est-ce que Kodak peut vous prendre en peinture ? Pour illustrer l'article, et je mettrai un sous-titre du genre « La milice de Palma fait tout son possible pour retrouver le tueur ». Les gens apprécieront de savoir qu'ils sont bien protégés.

Rien de tel qu'un peu de lèche pour les mettre en confiance. Une fois qu'ils m'auront vraiment à la bonne, je percerai cette affaire à jour… Le peuple a le droit de savoir !