[ Clos ] À toi, pour toujours. [Solo]

[Lyse]

Post sous contrainte

L'anniversaire de Lyse approchait. Elle aurait bientôt 21 ans. Réfléchir à son âge, au pied du Mont Efferos, la laissait songeuse. Il signifiait qu'elle s'était approchée d'un cinquième de siècle de la fin de sa vie, par rapport au jour de sa naissance. Une fin de vie qui risquait d'arriver prématurément si son plan fou échouait. Mais cet âge lui rappelait aussi qu'il y avait déjà de nombreuses années qu'elle ne s'était pas retrouvée dans cette situation, dans ce lieu exact. Cinq ou six années s'étaient donc écoulées depuis sa première exploration du Temple du Volcan, en compagnie d'un jeune homme nommé Allen. Ce jour-là, elle était encore bien jeune, inexpérimentée. En conséquence, elle avait été incapable de rencontrer le seigneur du Feu Ho-oh, même s'il avait accepté de lui faire cadeau d'une de ses plumes, laissée au sol comme à son attention. La Flamenoise sortit une nouvelle fois de son sac cette relique. Malgré le temps passé entreposée dans une besace, l'objet ne semblait pas du tout vieilli ou abîmé. Elle se caressa le visage du bout de la plume. Désormais, elle en ressentait l'aura mystique qui émanait, l'énergie légendaire de son ancien possesseur. Cela lui donna le courage nécessaire, et elle commença l’ascension du Volcan.

Lyse avait 20 ans, et elle venait de devenir Méta-Élémentale. À présent, telle un Pokémon Feu, la chaleur ardente des coulées de lave autour d'elle ne l'atteignait plus. Elle suait à peine, se sentant dans son élément, et ce même sous forme humaine. Elle croisait des Pokémon qu'elle avait déjà vu lors de sa précédente visite, et d'autres qu'elle ne reconnaissait même pas. Le long du chemin, une colonie de fourmis argentées marchait, les unes à la suite des autres. Leurs antennes et leurs pattes cliquetaient bruyamment. Dans leur montée, elles croisèrent un lionceau couleur de cendre, qui s'enfuit en les voyant, et surtout en les entendant arriver.  La Flamenoise observait ce manège en songeant que, même si elle était enfin arrivée au plus haut niveau de son art, la maîtrise du Feu, ce qui la rendait finalement digne de rencontrer le légendaire Phénix, elle avait toujours énormément de chose à apprendre dans de multiples domaines.

Soudain, Lyse ressentit une douleur à la tête, et le besoin de faire une pause dans son escalade. Elle avait 19 ans, et alors qu'elle se remettait de sa défaite au Colisée, on venait de lui apprendre qu'elle était malade. Victime d'un trouble qu'on ne savait pas guérir. Tout en se massant le crâne, la jeune femme s'assit sur une pierre, à l'écart du tintamarre des insectes de métal. Elle prit conscience qu'elle avait vraiment chaud... Comme cette autre fois. Quel que fût ce corps étranger dans sa tête, il lui provoquait de régulières surchauffes, qui l'affaiblissaient et lui vrillaient le cerveau. La Flamenoise souffla de l'air chaud, cherchant à se rafraîchir. Elle fit apparaître un feu bleu au creux de sa paume, et y laissa s'échapper le trop plein d'énergie qui était en elle. Sans le savoir, le médecin qui l'avait diagnostiquée ce jour là avait pour ainsi dire scellé son destin. "Il n'y a rien qui puisse me soigner ?" "À part des Cendres Sacrées"... Cette déclaration, faite sur un ton défaitiste au possible, avait résonné comme une possibilité tout à fait plausible dans l'oreille de la jeune femme. Une motivation supplémentaire pour rendre visite à l'oiseau divin.

La maîtresse du Feu avait 16 ans, enfin. Et pour la première fois, elle se tenait devant les portes du Temple du Volcan, fiévreux, formidable, divin. Ce souvenir revint en elle lorsque, une seconde fois, elle posa le pied sur le perron de la demeure du Tout-Puissant Ho-oh. Elle était seule, aujourd'hui, mais cinq ans plus tôt elle s'y était rendue accompagnée. Un jeune homme du nom... Al... quelque chose... avait accepté de la suivre pour cette exploration. À moins qu'elle ne soit celle qui avait suivi l'autre ? Le long de la rivière du Temps, les souvenirs se diluaient et se mélangeaient parfois. Surtout que depuis, elle en avait fait, des rencontres. Des Nalciens, des Flamenois, quelques plus rares Mizuhaniens, des Terrosiens... dont ses camarades et amies, Kaé et Yûn. Comme elle, les jeunes filles poursuivaient un rêve, et comme elle, elles donneraient tout pour l'atteindre. Contrairement à ceux des autres, leurs deux visages étaient clairs dans la mémoire de Lyse. Il y en avait pourtant bien d'autres, des noms, des voix, qui avaient croisé sa route, et qui l'avaient fait grandir. Madara, Tekken, Vulca. C'était à l'âge de 16 ans que Lyse avait vu naître sa Héricendre, si petite, si chétive, une créature qu'il fallait protéger. C'était l'âge du départ sur les routes de Flamen puis d'Erasia. Désormais Vulca était une forte et fière Feurisson, et Lyse une puissante Élémentale. Et la jeune fille avançait, avec confiance, dans le dédale volcanique.

À 12 ans, alors qu'elle avait passé toute son enfance à jouer dans la pension de sa mère et sous la surveillance de celle-ci, l'Éleveuse l'avait enfin laissée s'occuper seule d'un Pokémon. L'expérience avait été enrichissante ; même si elle n'avait pas eu à traiter une grosse blessure ou une maladie, Lyse avait appris les bases des soins qu'un Dresseur doit savoir apporter à ses camarades... Ou à d'autres. Voyant un Limagma mal en point sur sa route, elle s'arrêta pour lui venir en aide. La créature avait refroidi, pour une raison qu'ignorait la jeune femme, ce qui le ralentissait considérablement et, surtout, le faisait manifestement souffrir. Il avait de la chance que ce soit elle qui soit tombée sur lui plutôt qu'un autre humain : bien que ne connaissant rien à la science de la guérison, elle savait se rendre aussi brûlante que le gastéropode. Sans aucune douleur, elle l'attrapa et le colla contre elle, augmentant singulièrement leurs températures corporelles. La limace se sentit fondre, libérée de ses chaînes de roche qui le condamnaient à une mort lente et abominable. Vite, il se libèra des bras de la jeune femme pour retourner vivre sa vie de Pokémon sauvage, sans un merci. La Flamenoise ne lui en tint pas rigueur - un autre des apprentissages de sa mère. Un Pokémon, s'il n'est pas apprivoisé, reste un simple animal pour qui la "gratitude" n'est qu'un instinct - "cette personne ne me veut pas de mal". En se relevant, elle posa sa main sur un mur de pierres peint. En s'éloignant de quelques pas, elle parvint à embrasser toute l'étendue de l'oeuvre. C'est Lui.

Elle a 7 ans la première fois qu'elle le découvre, au détour d'un livre d'images et de récits mythologiques. Le Phénix. L'Oiseau du Jour. Le Dieu Soleil. Le Pokémon Arc-en-ciel. Le Roi Feu. Aujourd'hui, elle le retrouvait, plus grand et plus beau encore, brillant de toute sa lumière sur l'entièreté du mur. Et la peinture, exquise, superbe, grandiose, était loin encore de la créature réelle. Après tout, elle n'avait été peinte que par une créature humaine, incapable de saisir et de rendre toute la magnificence du Pokémon. Tandis qu'elle l'admirait, Lyse entendit un cri bestial, dans une salle proche. Elle tremblait d'excitation, de peur et d'émotion mêlées, et se dirigea vers la source du bruit, cette salle où, quelques années auparavant, lors de sa première visite, elle a découvert la salle des offrandes et ramassé une plume de sa divinité fétiche. Ses pas résonnent sur les parois du Temple. En entrant dans la salle, elle fut obligée de se cacher les yeux sous son bras, éblouie. Ho-oh se tenait devant elle, dans son manteau chatoyant. Lyse s'inclina, se mit à genoux, même. Elle frissonnait sans savoir quoi dire ou quoi faire. Devait-elle se présenter, jurer allégeance, demander à l'Oiseau du Jour de l'accepter en tant que disciple ? Comprendrait-il seulement ses mots, lui qui élevait son esprit bien plus haut que tous ces principes bassement humain ?

Elle avait l'impression que le Feu s'agitait en elle, qu'il lui parlait. Un peu comme cette nuit, au Cosmo Canyon, tandis que les étoiles filantes tombaient du ciel, elle avait cru entendre la voix du Dieu comme si des flammes lui avait chuchoté ses pensées dans l'oreille. Écoutant cette voix secrète, elle releva la tête et admira son idole. Lorsqu'elle avait fêté ses 5 ans, avec ses parents, elle avait elle-même, sans y penser, allumé les bougies de son gâteau d'anniversaire. Elle avait découvert le Feu, ses brûlures, sa chaleur et sa lumière. Du moins l'avait-elle cru : car le Feu, à l'état pur et primaire, se tenait désormais devant elle, vert, blanc, rouge, or. Ho-oh brûlait de toutes les couleurs de l'arc-en-ciel, ardent et brillant. Lyse avait cru maîtriser son élément en parvenant à la Méta-maîtrise, mais le Dieu faisait preuve d'un tout autre niveau : il n'était pas l'élément, il le personnifiait. La jeune femme avait l'impression que, si ce Pokémon venait à mourir, le Feu disparaîtrait de la surface de cette Terre. Mais il était le Phénix et renaissait de ses cendres, dans un éternel cycle de vie. Sans dire un mot, mais certaine que l'oiseau connaissait tout de ses sentiments à son égard, ou ce qu'elle était venue chercher ici, la maîtresse élémentale se releva et s'avança de quelques pas vers la créature céleste. Quand elle ne fut plus qu'à un mètre de lui, et sans la moindre sommation, il l'arrosa de Feu Sacré. La brûlure fut si atroce et intense que Lyse n'eut pas le temps de pousser le moindre cri avant de mourir.

Les premiers souvenirs de la jeune femme étaient flous, incohérents, presque, comme pour beaucoup d'êtres-humains. Bien que créatures de mémoire, d'apprentissage et d'anticipation, ces petits êtres mortels étaient incapables de supporter le poids d'années d'images vues et de sons entendus au cours de leur vie. Lyse se rappelait vaguement de bruits, d'odeurs et de visages au-dessus d'elle. Une figure à la peau claire, aux cheveux longs et bruns encadrant un visage aux traits féminins et aux yeux doux. Une autre plus basanée, couverte de poils de barbes mal rasée, de cicatrices, mais au sourire immense. Dans son souvenir, elle voulait tendre les bras, toucher ces peaux si familières, embrasser ses parents. Leur amour, leur chaleur et leur protection, c'est tout ce qu'elle désirait en ce monde, qui se limitait encore aux draps de son berceau et, parfois, à la poitrine nourricière de sa mère. Peut-être était-ce la chaleur ambiante qui faisait remonter ces souvenirs lointain. La sensation d'être bien, protégée et aimée. Lyse souhaitait bouger, ou simplement ouvrir les yeux, mais le moindre geste était bien difficile pour de faibles muscles de bébé.

Comme une seconde naissance, pourtant, Lyse ouvrit les yeux et se retrouva entourée par la lumière. Le monde réel était presque agressif après le temps passé à l'abri de tout. Mais il était beau malgré tout ; la Flamenoise se trouvait en effet dans une colonne de flammes qui montaient jusqu'au plafond du Temple, absolument inoffensive pour la nouvelle-née et affichant toutes les couleurs de l'arc-en-ciel. Le violet y côtoyait l'orange sans la moindre gêne, sans même laisser une impression d'étrangeté ; le rouge et le vert s'enlaçaient dans une danse torride. Le bleu et l'or, plus timides, se frôlaient à peine avant de se séparer.

L'attaque cessa, et les flammes disparurent. Autour de la jeune femme se trouvait des petits tas de cendres brillantes, qu'elle identifia comme des Cendres Sacrées tant recherchées. Elle les ramassa, sous l’œil bienveillant de Ho-oh, tout en sachant qu'elle n'en aurait plus besoin pour elle, désormais : sa renaissance, digne d'un phénix junior, l'avait débarrassée de toute l'obscurité de son ancienne vie : doutes, peurs, blessures physiques ou morales. Elle était loin d'être comme si idole, immortelle, bien sûr ; et sa "résurrection" avait été mentale et non physique. Mais le médicament divin pourrait s'avérer d'un grand secours, si jamais quelque chose arrivait plus tard. La nouvelle disciple de Ho-oh s'inclina devant son sauveur, qui lui rendit son salut. Puis, finalement, elle s'éloigna en sens inverse, repartant vers la sortie du temple.

Dans son corps brûlait un feu nouveau, une flamme de toutes les couleurs de l'arc-en-ciel.

[Contrainte n°8 : remonter dans son passé]