[ Clos ] La dure loi de la nature [Capture]

par Asaka Chôko Dim 25 Nov 2012 - 16:52

Quelques jours étaient passés, depuis le retour de la Furie d’Alfen chez elle. Des journées tranquilles, comme il y en avait rarement. Mais… Même trop tranquilles. Certes, se reposer faisait du bien. Mais cela ne correspondait pas vraiment au caractère de la Championne aux oiseaux. Aussi, lasse de cette absence totale de troubles, que ce soit dans son Arène ou dans sa ville, elle décida de partir se balader un peu. Enfin, se balader. Plutôt un petit voyage dans Nalcia de quelques jours, sur Dachou. Après tout, son autruche tricéphale n’avait pas encore eu l’occasion de parcourir ce pays qui était le sien.

En deux jours, la femme meurtrie par le passé avait atteint la Forêt du Chat. Elle aurait pu y arriver plus rapidement… Mais pourquoi se presser, pour une fois ? Elle avait donc laissé le Dodrio adopter un rythme soutenu, certes, mais tout de même assez lent, par rapport aux entraînements pratiqués auparavant. Ainsi, la créature dépourvue d’ailes courut sans s’arrêter, bien suffisamment endurante pour pouvoir tenir sans problème une telle distance à cette cadence.
En revanche, dès qu’ils dépassèrent les premiers arbres, Asaka lui demanda de ralentir d’une pression sur ses guides. Inutile de s’aventurer dans ce lieu sylvestre sur les chapeaux de roues, ils avaient leur temps. Et puis, ce n’était pas comme si elle voulait lui faire un slalom et parcours d’obstacle pour travailler ses réflexes, comme celui à la Forêt Agata.
La cavalière et sa monture déambulèrent ainsi entre les calmes géants. Les oiseaux chantaient au loin, la lumière filtrait doucement entre les ramures des seigneurs des lieux, légèrement agitées par un vent timide et innocent. L’endroit dégageait une sérénité agréable… Mais qui était sans prises sur la Championne aux oiseaux. Elle connaissait la réputation de cette forêt. De nombreux fauves y vivaient, séparés chacun dans des territoires dont les frontières changeantes n’étaient connues que d’eux seuls. Il se pouvait très bien qu’elle soit actuellement sur le domaine d’un Persian, ou d’une bestiole dans ce genre-là, et elle pouvait se faire agressée à tout moment. Enfin bon, c’était pas un matou sans éducation qui lui faisait peur…

Dans cette forêt où tout se ressemblait, le Temps semblait suspendu. Seule la luminosité donnait une indication approximative du moment de la journée. Et au vu des rayons embrasés qui traversaient parfois la cime des arbres, Asaka comprit que la journée touchait à sa fin. Rênes lâches, elle laissait Dachou marcher au pas, ses cous bas et détendus qui grignotaient de ci de là quelques tendres pousses ou baies. Elle réfléchissait à la prochaine étape de son petit périple. Elle n’avait pas envie de retourner à Alfen, à essuyer les pleurs de challengers trop faibles pour qu’elle leur accorde son badge. En plus, malgré son grade, elle n’avait toujours pas pu rencontrer certains officiers de l’armée. Elle se sentait inutile, délaissée. Et ça, ça l’énervait profondément.
Soudain, l’autruche tricéphale s’immobilisa. L’éventail vermeil de sa queue se déploya, comme pour paraître plus imposant, alors que ses flancs se soulevaient de plus en plus rapidement. Ses trois cous se redressèrent, les trois têtes orientées dans la même direction. Ca, ça voulait dire que quelque chose clochait. Pour que tous les faciès de sa créature agissent de concert, il fallait que ce soit important. La femme au corps meurtrie reprit les rênes dans sa main, porta l’autre sur son arme. Dachou avait raison. Quelque chose n’allait pas. Les oiseaux avaient cessé leur interprétation musicale, et un silence pesant s’était installé. Même le vent avait interrompu son ballet avec les feuilles. Mais qu’est-ce qu’il se passait ?
Un début de réponse lui fut donné lorsqu’elle ordonna à la brise de l’éclairait. Une odeur rance, désagréable, lui agressa les narines. La senteur du sang. Et même… De sang séché et liquide en même temps, de chair pourrie. Une créature blessée était dans le coin, et elle devait avoir été amochée depuis un petit moment. Il ne faisait pas bon d’être près d’elle, dans ce cas.
Asaka s’apprêtait à faire pivoter sa monture tricéphale lorsque le souffle lui apporta une nouvelle information. En faisant attention, elle parvenait à distinguer une autre odeur que celle du liquide garant de vie. Sous la puanteur, un parfum vaguement familier, qui lui titillait la mémoire… De quoi ou de qui pouvait-il s’agir ? Elle devait en avoir le cœur net.
Ignorant les premières protestations du Dodrio, la Furie d’Alfen le poussa dans cette direction qu’il avait envie de fuir. L’autruche obtempéra, non sans avoir claqué du bec d’inquiétude. Son pas était saccadé, comme s’il hésitait à poser son pied qui le rapprochait chaque fois un peu plus du danger. Exaspérée, Asaka lui fit passer cette envie d’un coup de talon dans le flanc. Qu’il lui fasse confiance, bordel ! Cependant, à mesure qu’ils avançaient, la puanteur se faisait plus forte, et il lui devenait de plus en plus difficile de discerner la senteur connue de sa mémoire.

Enfin, au grand soulagement de Dachou, la Championne aux oiseaux donna l’ordre de s’arrêter. L’air était presque irrespirable, tant l’odeur nauséabonde attaquait sans vergogne les visiteurs. Mais Asaka s’en fichait. Ses pouvoirs lui permirent de créer une enveloppe invisible éloignant le souffle putride. En revanche, elle éprouva un pincement au cœur en voyant le spectacle qui s’offrait sous ses yeux.
Elle avait bien deviné, c’était un être en très piteux état qui était étendu au sol. Sa fourrure de nuit était poisseuse du sang qui s’était écoulait ou qui continuait de se déverser de ses plaies béantes. Des morceaux entiers de peau semblaient avoir été arrachés, laissant la chair pourrir à l’air libre. D’ailleurs, des mouches s’étaient déjà invitées à ce festin morbide. L’étoile dorée, à l’extrémité de la queue du fauve, avait perdu deux de ses branches, d’où perlaient encore quelques larmes rouges. Son flanc trempait dans la mare macabre formée autour de lui, et se soulevait difficilement.
Mais le pire, dans tout ce tableau, c’était certainement la tête de ce seigneur déchu. A chaque fois qu’il respirait, un râle déchirant et pitoyable s’échappait de sa gueule ensanglantée, où quelques crocs manquaient. En fait, c’était toute sa figure qui était inondée par cette eau sale et vitale. Un liquide puant, qui provenait des deux cavités recelant les globes oculaires. Ou plutôt, ce qu’il en restait. Les orbites n’avaient pas échappé au massacre. Les sphères si fragiles étaient fendues, déchirées. Du splendide regard doré du fauve d’encre d’antan, il ne restait plus rien.

La Furie d’Alfen mit pied à terre. Malgré sa peur, sa monture ne profita pas de cette liberté retrouvée pour s’enfuir, voire effectuer un petit mouvement de recul. Il n’en avait pas le droit, il ne pouvait abandonner la guerrière. Il était un pokémon militaire avant tout, il ne devait pas laisser ses émotions prendre le dessus sur son devoir : soutenir son propriétaire, quelle que fut la situation.
Néanmoins, Asaka ne fit même pas attention à ça. Sa béquille calée sous son aisselle, elle s’avança sans crainte vers le Luxray à terre. Celui-là-même qui l’avait aidée à obtenir son grade de Dompteur. Elle s’en souvenait comme si c’était hier… Un rival avait probablement voulu lui ravir sa horde. Et apparemment, il y était parvenu, suite à un combat qu’elle devinait très violent. En arriver à crever les yeux, organes du sens le plus développé chez ces sombres créatures, était synonyme d’une défaite sans discussion. Désormais, il n’était plus qu’un chef renversé par un petit jeune, comme il y en avait des milliers d’autres.
Sentant que quelqu’un approchait, le lion de nuit releva difficilement sa lourde tête. Le râle plaintif fit place à un grondement menaçant, les babines retroussées sur ses crocs aux aussi souillés. Il tenta de se redresser, sans succès. Son corps était bien trop affaibli pour supporter un tel effort.

« Arrête de bouger comme ça, crétin. »

Ces quelques mots firent tiquer le lion de foudre. Cette voix ferme lui était familière. Il n’avait pas côtoyé énormément d’humains, il lui fut aisé de se rappeler à qui elle appartenait. Cette femme avec une troisième jambe en bois et en métal. Celle qui lui avait permis d’asseoir sa position de leader… Mais qui avait quand même réussi à le maîtriser, lui !
Le Luxray gravement blessé baissa la tête, signe qu’il se souvenait de sa position par rapport à elle, mais le grondement roulait toujours dans sa gorge.

« Ben dis donc, il t’a pas raté, dis-moi… »

Les oreilles abimées se plaquèrent contre le crâne. Elle n’avait pas besoin d’en rajouter. Mais il ne dit rien.
Un cliquetis se produisit. Il le reconnut. Il avait entendu le même lorsqu’il avait affronté cette furie. Sa troisième patte venait de faire sortir sa grande griffe de métal.

« Si tu continues comme ça, tu vas pas faire long feu. Enfin, tu vas plutôt mourir après plusieurs heures, voire jours… Je peux te proposer que deux solutions. Soit je t’accorde la mort de guerrier que tu mérites, en abrégeant tes souffrances. Soit… Tu prends sur toi, tu t’accroches à la vie malgré tes blessures, et tu fais tout pour surmonter ce handicap. Comme je l’ai fait. Si c’est ce que tu veux, j’accepte de m’occuper de ton entraînement. Alors… Que choisis-tu ? Une mort facile, ou une vie de souffrance ? »

Dans la nuit étoilée, la Furie d’Alfen, juchée sur sa monture, surgit hors de la Forêt du Chat tel un cavalier de l’Apocalypse. Dachou avait repris son rythme effréné, celui qu’il adoptait lors de ses entraînements. Il filait à travers la terre, en direction de la capitale. Ils ne pouvaient se permettre de ralentir. La vie de leur nouveau partenaire était en jeu.